Cinéma - Fellini

Amarcord

D'Amarcord à Fellini, thèmes et formes

 

Amarcord est un film en couleurs de Federico Fellini réalisé en 1973, durant 2h07mn. C’est une chronique plus ou moins autobiographique se déroulant à Corpole. Il est intéressant de voir comment ce film parle de Fellini en tant que personne, mais surtout comment il témoigne des thèmes récurrents dans son œuvre et des formes cinématographiques qu’il affectionne. Les deux films qui le précèdent (Les Clowns et Fellini Roma) ont également une dimension autobiographique. Celui qui suit (Casanova) décroche de cette série.

Le film est construit sur une suite de thèmes, ceux-là même qu’on évoquerait si l’on devait raconter son enfance dans une petite ville italienne durant les années 30. Mais beaucoup de ces thèmes sont en fait communs à nous tous : l’école, la famille, la promenade en ville, l’émergence de la sexualité à la puberté, quelque lieu mythique, des expériences inoubliables, la maladie, un deuil, un mariage… Aussi le spectateur qui n’est pas italien et de cette génération peut-il s’identifier à ce récit foisonnant à prétention d’universalité. Et les Italiens qui étaient de la génération de Fellini se seraient retrouvés dans la scène de la confession à l’église, l’évocation du fascisme et de Mussolini, la curiosité pour les grands paquebots de l’époque, ou bien la course automobile traversant la ville. Fellini est en même temps un cinéaste profondément italien, attaché à sa région d’Émilie-Romagne (il est né à Rimini) et un réalisateur qui s’adresse à l’humain en général : ce qui en fait sa grandeur, au même titre qu’un Chaplin, un Bergman ou un Kurosawwa.

Complicité du réalisateur et de son public : dans les différents thèmes évoqués, beaucoup retrouveront ce qu’ils auraient sans doute raconté à des amis… Par exemple, le thème de l’école est agrémenté de l’évocation d’une galerie de professeurs/personnages et d’élèves pittoresques. Dans le thème de la famille, on trouvera bien entendu le repas familial, les disputes entre les parents, les chamailleries des enfants (avec cette note méditerranéenne qu’ici l’oncle et le grand-père grossissent de leur présence cette famille). La promenade en ville est l’occasion de montrer une vie sociale très dense, dont tout le côté ennuyeux d’une ville de province est estompé (on le trouvera plutôt dans I Vitelloni). Pour l’éveil de la sexualité à la puberté, Fellini n’hésite pas à faire référence à la masturbation, mais surtout il met en valeur les fantasmes, les rêves idéalisant de ces gamins, copains de Titta, le jeune Titta qui est en partie un double du réalisateur. Dans le thème du deuil, ce qui est montré n’a rien de spécialement original mais c’est ce qui permet une large réception de toutes ces évocations. Le but de Fellini n’est pas plus de chercher des scénarios avec des événements ou des personnages d’exception que de créer un cinéma décalé, expérimental, en rupture, mais bien plutôt, idéalement, d’exalter un sentiment de familiarité universelle (la grande famille des hommes). Le spectateur s’attache à une galerie de personnages pittoresques et attachants : Scureza l’érudit, Volpina la nymphomane, La Gradisca grande coquette, Biscein le mythomane, Giudizo, etc.

Cependant cette familiarité universelle du « normal » est sans cesse sublimée par un sentiment enfantin du merveilleux, un émerveillement devant les phénomènes de la nature : les aigrettes, (par leur légèreté impalpable, voletant au début et à la fin du film, elles ne sont pas que les fourriers du printemps, mais aussi ce qui porte comme une évocation légère le récit), la première neige, les myriades d’étoiles dans le ciel, la brume épaisse du petit matin, le paon qui surgit au milieu des flocons, etc. Un émerveillement aussi devant les œuvres de l’homme : un paquebot immense (le « Rex »), un Grand Hôtel somptueux… Les merveilles artistiques et architecturales de l’Italie, en revanche, sont évoquées par un avocat érudit et malicieux qui s’adresse aux spectateurs, une érudition dont se moquent les enfants (n’est-ce pas la position générale de Fellini par rapport à tout l’héritage artistique romain, italien ? Il le mentionne, le cite, mais conserve à son égard une distance amusée).

Cet émerveillement, celui du regard enfantin, va permettre à Fellini de trouver sa signature : la matrice de l’émerveillement chez lui, de l’éblouissement, est le cirque, ou le music-hall. La musique de Nino Rota, essentielle, garde des rythmes et un entrain de musique de cirque. C’est non seulement un thème (La Strada, Les Clowns), mais encore et surtout une manière de voir, d’admirer le monde. Les personnages, les situations, le rythme, l’ambiance merveilleuse du cirque vont structurer le cinéma fellinien. Cirque à la Barnum avec tous ses monstres… Dans Amarcord, comme dans tous les autres films, on trouvera une galerie de personnages monstrueux mais qui ne font pas peur, tout comme dans les cirques : la sœur naine, l’énorme marchande de cigarettes, Biscein le marchand ambulant édenté, le prince à l’air abruti… Ne pas oublier que Fellini était un excellent caricaturiste. On trouvera également des scènes qui se réfèrent directement au music-hall, comme cette danse (imaginée) dans le harem. Il est à noter que ce côté extraordinaire, merveilleux disparaît dès qu’il s’agit du fascisme dans Amarcord : on tombe dans le réalisme qui, du coup et par contraste avec les autres évocations enthousiastes, devient sordide.

L’univers baroque, truculent, onirique, caricatural et merveilleux de Fellini s’ancre dans une réalité sociale qu’ancien journaliste il avait sondée et qu’inscrit dans le néoréalisme, au début de sa carrière cinématographique, il inclinait à scrupuleusement observer.

 

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