Créer un site internet

Littérature : en lisant Proust, notes en vrac

En lisant Proust... Notes en vrac

 

Avec lui, l'oisiveté devient la mère de toutes les vertus, contrairement à ce que dit le proverbe.  Jusqu'au moment où il ne va plus cesser de travailler ! Et la matière de sa recherche, de son élaboration sera justement ce temps supposé "perdu"...

Proust était très riche, il vivait dans le luxe. Mais ce qui est extraordinaire, c'est que la magnificence de ses impressions, la splendeur de ses épiphanies - avec un rien : une fleur, un reflet, une intonation - auraient pu le dispenser d'être millionnaire. Il a eu l'immense générosité d'offrir à tous, par l'écriture, l'authentique richesse : celle de l'ouverture totale au monde...

Traduite en technologie du numérique, l’image de la réalité que Proust nous offre est en... milliards de pixels ! Une définition admirable de subtilité...

Qu'est-ce qui fait dans la lecture de Proust, parfois, que je me sens aussi fort, et presque invulnérable ? On dirait que la finesse, l'extrême complexité de sa prose, les niveaux multiples qu'elle recèle, prouvent indirectement la richesse des associations et inventions dont notre cerveau est capable. Et donc que la confiance dans sa capacité à résoudre les problèmes qui pèsent sur notre condition en sort accrue...

Dans cette tendance littéraire, illustrée par Proust, à ce qu'on appelle l'analyse du sentiment, on retient l'idée d'analyse plus que de sentiment. Or ce qui frappe, c'est la place énorme que le sentiment amoureux occupe dans l'écriture. Si l'amour se fabrique souvent à l'image d'un roman, le roman le lui a bien rendu...

Proust, comme à l'accoutumée, passe vite sur les moments de bonheur amoureux pour s'attarder sur les affres de la jalousie, de l'absence, de la perte.... Son pessimisme sur l’amour prépare le choix final pour la création solitaire.

De même qu'une mise en forme créative suffit à faire oublier la minceur de certains thèmes, les innombrables et pénétrantes digressions psychologiques ou philosophiques de Proust parviennent, mais pas tout à fait complètement, à nous rendre supportable la récurrence des petites affaires de coeur, de tromperies, d'amour-propre, de mesquineries, etc.

Délicatesse extrême des impressions, bien sûr, des sentiments éprouvés : tout ce qu'il dit est juste, mais on passe à côté, ordinairement, parce qu'on va trop vite. Par négligence, on ne prend pas la peine de ralentir et encore moins de s'arrêter...

Les homosexualités occupent évidemment une grande place dans son oeuvre. Mais il ne craint pas d’en exhiber le sordide, et il n'entre pas dans cette facilité honte versus fierté. Il décrit ce qui en est de l'inversion avec la rigueur précise d'un botaniste.

Les "jeunes filles" dont il parle sont sans doute des jeunes gens et, quand il les soupçonne de "moeurs lesbiennes", il faut entendre que ces jeunes homosexuels pouvaient incidemment le trahir avec des femmes... Que c'est alambiqué ! Quelle mascarade, tout à fait théâtrale par ailleurs !

Sens de l’émerveillement qui nous fait bien défaut... Admirer des choses simples, fouiller des choses compliquées.

Ses passages mondains, et la manière dont il met en scène les codes aristocratiques, tout en se délectant de la façon dont les uns et les autres s'entortillent dans ce filet de conventions. Rang, hiérarchie qu'il ne conteste pas la plupart du temps, comme s'il regrettait d'une certaine façon un aspect de l'Ancien Régime...

Il évolue dans un milieu riche, snob, réactionnaire, le plus souvent antisémite, mais comme lui-même est Juif, dreyfusard, et nostalgique d'une noblesse du coeur qu'il cherche, le plus souvent en vain, dans le "beau monde", le lecteur ne lui tient pas rigueur de ses fréquentations, surtout que sa véritable micro-société de référence, on le voit bien, reste celle des grands artistes (Vinteuil, Bergotte, Elstir, etc.) ou des esthètes (Swann).

Un monde d'oisifs, de rentiers richissimes. Ils mondanisent, vont aux courses, ont des aventures amoureuses, jouent les mécènes et achètent des objets d'art, ou s'ennuient en villégiature... Sous eux la masse obscure, accablée, quasi muette, des esclaves du travail !

 

Ajouter un commentaire

Anti-spam