Musique (usage idéologique de la)

La musique instrumentalisée

 

Dans beaucoup de cafés, restaurants, magasins, et de façon permanente, un fond musical entraînant pulse les notes de son excitation programmée.

Il interdit le silence donc, plus exactement l'accès aux bruits aléatoires, hétérogènes de la ville, ou bien aux ambiances sonores qui naissent logiquement de ces lieux et peuvent être intéressantes.

Pourquoi ?

Ce fond musical permanent est-il destiné au personnel, qui a besoin de cette bande-son dynamique pour mieux supporter sa charge de travail et la monotonie de ses tâches ? Ou bien aux clients, dont on suppose qu'ils vont, dans cette euphorie de commande, davantage consommer ?

Ou bien est-il une traduction esthétique, parmi d'autres, d'une idéologie visant à naturaliser le rythme trépidant de la société capitaliste, la fureur affirmative du principe de rendement ?

On sait que la musique militaire était conçue pour emplir de bravoure les soldats qui allaient se faire tuer dans les batailles. On sait aussi qu'une idéologie peut récupérer une grande musique, et pas n'importe laquelle, pour en faire l'un de ses instruments de propagande : il en fut ainsi pour la musique de Richard Wagner, récupérée par les nazis pour fonder, en un germanisme à la fois héroïque et tragique, l'aventure guerrière préparée par Hitler. Mais, dans le cas qui nous intéresse, ce fond musical n'est au départ prévu ni pour la consommation ni pour justifier l'activisme et le productivisme capitalistes.

Il s'agirait sans doute d'un détournement idéologique, sous la forme d'une instrumentalisation, de musiques aux directions en général variées, mais dont l'addition en continu reflèterait un monde à la dynamique permanente, peu enclin à la contemplation et au "laisser être", refoulant et traquant la mélancolie, un monde enfin où l'on ne mourrait pas. Donner à croire que ce monde soit le seul possible et souhaitable, tel reste bien entendu le projet fondamental de l'idéologie capitaliste. 

Alors, le silence ou bien une véritable écoute de la musique, avec les silences qui la trouent, constitueraient des actes de résistance... Mais, lorsqu'un système est devenu hégémonique, il tend au totalitarisme, c'est-à-dire qu'il devient difficile de lui échapper. Et, simplement dans le cas précis qui nous intéresse, il nous faut constater qu'il devient très difficile d'échapper à ce fond musical permanent qui, de la rue (semaine commerciale) aux ascenseurs, en passant par les restaurants, les cafés, les grands magasins, etc., nous convainc qu'aux possibles du silence il convient de préférer l'évidence de la production/consommation, définitivement. 

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