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Photographie : Martin Parr

PARR EN THÈSES

(écrit en avril 2014)

 

 

Voici une parenthèse ironique dans le discours idéalisant de la photographie d’art, ses figures de rhétorique, son esthétique et ses techniques virtuoses… Là où il est de bon ton d’utiliser l’argentique et un noir et blanc aux délicates nuances de gris, le photographe anglais Martin Parr nous sert du numérique aux couleurs vives, criardes. Quand il est recommandé de bien réfléchir à la profondeur de champ pour obtenir des effets de relief et de sens, on voit Martin Parr nous offrir nombre de clichés où tout est jeté là, sous les yeux, dans l’unique plan d’une absurde évidence. Finalement, l’effet esthétique de Martin Parr fonctionne dans la surprise d’une absence d’esthétique, d’une anesthétique, comme le sentiment d’absurde naît d’une non-réponse brutale à l’exigence inquiète de sens. En même temps, la réserve, la réticence esthétiques peuvent être une marque de fabrique de la photographie documentaire.

 

Après Cartier-Bresson, Boubat, Klein, Gibson, etc., jusqu’au 25 mai la Maison européenne de la photographie a donné carte blanche à Martin Parr pour nous livrer sa « vision » de Paris. On aurait attendu d’élégantes photographies d’architectures, ou des saisies étonnantes d’atmosphères typiques ou encore une photographie « humaniste » de Parisiens. Mais voilà que Martin Parr a choisi de montrer non pas la ville ni même ses habitants mais le regard moutonnier que les touristes ont sur elle. Paris, la ville la plus visitée du monde … Les touristes, êtres obsédés par l’extraordinaire, l’exotique, rendus à leur sidérante banalité de photographes perpétuels ! Voici, au Louvre, cette forêt de bras surmontés de smartphones devant la Joconde qu’on ne voit même plus. Spectacle absurde, peut-être comique. Parr : « Le monde est étrange, la vie est drôle et je suis content de voir qu’elle est drôle aussi à Paris ».

 

Mais lui n’est pas toujours drôle, et son ironie cruelle pointe l’immanence vaine du consumérisme de masse ou, naguère, la réussite sociale façon Thatcher. On se souvient encore de la grande exposition qui était consacrée à Martin Parr en 2009 au Musée du Jeu de Paume. Ses clichés, ses objets collectionnés... Tant de kitsch, vulgarité, mauvais goût, laideur banale constituaient un ensemble humanoïde grotesque finissant par devenir anxiogène. Qu'il s'agisse du luxe des nouveaux riches ou d'autres portraits "sociaux", ce réalisme documentaire révélait plus une fascination excentrique et trouble d’amateur de cabinet de curiosités qu’une démarche éthico-politique ou critique. En somme, la quête ludique et perverse du « dîner de cons »… Regardez les magnifiques spécimens que je vous ai rapportés ! Question : Parr n’a-t-il pas des problèmes avec les gens qu’il a photographiés ainsi, et pas sous leur meilleur jour ?

 

Le prosaïque pur : banal, commun, vulgaire, ennuyeux, manquant de distinction. Pour le saisir comme réalité emblématique d’un temps privé de mémoire et d’utopie, Martin Parr photographie sans cesse, puis se livre à une sélection et un cadrage rigoureux de ce qui ne peut donner prétexte à aucune élévation poétique, aucun mystère, aucun sens implicite ou ambivalent. Il utilise systématiquement le flash pour aplatir les scènes, et le « déclenchement inopportun » pour épingler ces mimiques ineptes, ces gestes idiots que le photographe amateur proscrit évidemment. Il capture la laideur moyenne et le cliché, cette prison du sens, dont il perçoit le lien avec d’autres clichés dans un système de stéréotypes, une sous-culture de masse à dominante kitsch, qui enveloppe la société de consommation. Ce membre de l’agence Magnum réussit à éviter la platitude factuelle des reportages par une cinglante ironie.

 

Voilà donc cinq thèses, mini-thèses sur Parr… Dans cette exposition, les touristes, Paris Plage, les défilés de mode, les foires d’art ou le salon de l’agriculture nous parlent bien plus que d’eux-mêmes. En une soixantaine d’œuvres, Martin Parr nous dévoile une société de masse, rivée à un hédonisme somnambule. Il nous propose un miroir grossissant qui sidère puis révulse. Ce portrait charge reste sans concessions. Et pourtant, interview après interview, on est frappé par la manière dont le photographe systématiquement adoucit, par ses propos, sa démarche offensive quand on l’interroge. Comme si une dérobade pouvait élégamment le laver de l’accusation de porter trop loin la noirceur colorée de notre civilisation devenue insignifiante, absurde. « L’ironie et le thé sont les deux seules choses que nous maîtrisons à peu près, nous autres Britanniques », concède avec un aimable sourire Martin Parr…

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