1/8/18
La chaleur.
Lâche hâleur (il ne veut plus tirer la vieille péniche de l'ego).
L'achat leurre (que de fois il a regretté son réflexe acquisitif !)
Ah, tous ces moyens, même des allographes, pour oublier la chaleur !...
3/8/18
Canicule. Se réfugier dans une brasserie. Beaucoup de monde. Une table libre. Les conversations à droite, devant, derrière : le boulot. Des anecdotes... Mais on ne se plaint pas, presque jamais. Des fois que les collègues, mine de rien et en souriant, le rapporteraient au chef ! Tiens, des vachardises sucrées, maintenant, sur un absent... Distribution des rôles : il y a l'accusateur, l'avocat de la défense, le taciturne (le juge). Mais on passe à autre chose... À gauche, une femme seule et silencieuse qui vient de commander un plat. Pourquoi un être seul et silencieux intrigue toujours, peu ou prou ? Le silence : écran de projection idéal sur lequel partent et se collent les idéaux... Se taire est un avantage, il ne faut pas en abuser ! De toutes façons, elle ne parlera pas puisqu'elle communique grâce aux SMS du portable. Sinon, tout autour, les nappes de soleil sur les tables désertées. Personne ne veut déjeuner sous l'enfer du ciel. Tiens, comme c'est curieux, personne autour n'a un mot sur cette canicule exceptionnelle, ses causes et ses conséquences... Des fois que l'on passerait pour un écologiste critique et ronchon inadapté au monde dynamique et joyeux de l'entreprise !
Pas un mot sur les médiocres conditions du travail ni sur l'écrasante canicule. Cette brasserie est finalement un lieu enchanté... On ne l'avait pas vu tout de suite. Il ne reste donc plus qu'à repartir avec la femme seule et silencieuse et s'embarquer pour la fraîche Cythère.
Question : elle va s'y taire encore ?
5/8/18
Ce grand parc dans la banlieue est un observatoire d'ornithologie. Des palissades en bois avec des ouvertures, pour observer la faune ailée sans l'effrayer. Mais il suffit d'entendre les cris, les chants des oiseaux...
Comment les aborder ? Une expression immédiate, spontanée comme, quand on est seul on peut lâcher, comme ça : "Oof !" ? Ou une amorce de communication en direction des semblables, dans le genre "nourriture là ! Nourriture là !".
Imaginer une troisième possibilité, invraisemblable, excitante : c'est une expression de joie d'être permanente, fondamentale, propre au monde animal, et que nous avons perdue.
Juste conservée dans le chant.
7/8/18
Abandonné par le flot caressant des rêves, se retrouver sur le rivage froid du réel, humide et malheureux...
9/8/18
À gauche, il y a la mer aux teintes grises, ocres ou verdâtres, quelques conches étroites – ces plages de sable au fond d’une baie, entre deux pointes de falaises encastrées -, des cabanes blanches à carrelets avec leur large filet qui pend comme un hamac, devant, puis à droite la dense végétation de pins parasol, tamaris et acacias.
Le promeneur entre les deux mondes, avançant sur l’étroit chemin des douaniers.
11/8/18
Énormes pâtisseries gélatineuses et blanchâtres, les méduses échouées sur la plage… Avec du sable, les enfants tentent de dissimuler la laideur de ce mortel naufrage.
13/8/18
Les emphatiques nuages, frangés d’une lumière orange, racontant leur invraisemblable histoire, et dessous la plage nue, trempée, miroitante, d’où la mer s’est complètement retirée.
15/8/18
Fait de morceaux disparates et mal cousus, donc pas fait comme les autres, eux qui sont largement unifiés par leur habit social… S’éveillant dans un monde qui ne le reconnaît pas, ne le comprend pas, et qui s’effraye de sa monstruosité. Qui est-il ?
Une monstruosité dont il n’est pas responsable, et qui le voue à la solitude, lui, le monstre créé par Victor Frankenstein ?
Non, tout simplement l’artiste romantique dans la société bourgeoise.
17/8/18
Marcher dans la foule de la grande ville ibérique… Les femmes, provocantes et somptueuses. Les hommes puissants et tatoués... Un laideron de Goya ici, une naine de Velasquez là-bas. Les cuisses gaillardes sur les trottoirs, les jambons accrochés dans la boutique. Et un ciel bleu chauffé à blanc pour imprimer le spectacle dans la mémoire.
19/8/18
La tache d’un éblouissant vert pistache a filé d’un arbre à l’autre en jacassant. La perruche à collier se moque des tablées d’hommes où l’on répète les mêmes fadaises depuis dix ans.
21/8/18
Quelle est cette ville qui est un véritable concours d’architecture ?
Certains architectes ont voulu en imposer par la hauteur, le gigantisme, les colonnades, les tours rajoutées là-haut comme des suppléments sur le gâteau. D’autres ont voulu se faire remarquer par des frises, des fresques, des atlantes, des médaillons, des cariatides. D’autres encore ont eu l’idée de mettre en mouvement les façades par des vagues de pierre, des balcons enflés, des contorsions de métal…
Mais le plus fou d’entre eux s’est inspiré du tournoiement de ses rêves et délires qui emportait en vrille plantes, animaux, humains et figures divines tout là-haut, vers d’invisibles goulots célestes.
23/8/18
Il raffolle de ces amuse-gueules d’apéritif, de ces tartines sur lesquelles un bâtonnet impérieux cloue du fromage, du jambon, des crevettes, des légumes, du poulet, du saucisson, de ces petits navires qui n’aspirent en fait qu’à entrer dans sa bouche en procession interminable !
25/8/18
Pourquoi ne pas continuer à dormir ?
Se raccrocher au dernier rêve, et demander la suite de cette histoire extravagante et décousue, qui n’est pas plus insensée, au fond, que notre obscure, incompréhensible présence sur cette fichue planète terre, perdue dans la nuit infinie dont chaque étoile est elle-même l’explosion lente et l’effondrement d’un autre rêve gigantesque, distrayant le cosmos assoupi.
27/8/18
Regarder les choses différemment. Par exemple, le grand Malcolm de Chazal avait simplement remarqué ceci : « Le glaçon est une momie d’eau ».
29/8/18
S’imaginer dans de tout autres destins, même de gens qui a priori ne nous intéressent pas.
On aurait vécu ces drames, ces espoirs, ces exigences, ces rituels qui nous sont aujourd’hui totalement étrangers… On aurait pu vivre à Wellington, comme pédiâtre. Ou employée de banque à Valparaíso. Ou encore marchand de falafels à Tel-Aviv. On aurait tout de suite endossé ce destin-là, et tout le Monde aurait été normalement réduit à ce monde-là.
Pourquoi ne pas nous rendre un peu plus proches ces destins distants ? Pourquoi ne pas s’imaginer, quelques minutes, dans la peau d’une vendeuse mauricienne de Port-Louis, qui est très amoureuse mais n’en attend pas moins avec impatience le bus qui est en retard ?
31/8/18
- Dis le Temps, tu ne peux pas t'arrêter un petit peu ?
- D'accord. Mais combien de temps ?
- On ne peut pas discuter, transiger avec toi, ce n'est pas la peine !