2/4/21
Ami humain, si tu as « compris » l’Être une bonne fois, tu es prêt pour le Néant.
Si tu peux te poser la question métaphysique « pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien ? », alors tu es prêt d’avoir la révélation de l’Être. Et si tu as la révélation de l’Être, ton individualité explose dans l’extase ou la béatitude.
Mais l’Être, c’est la matière-vie en mouvement vouée inéluctablement à se dissiper. Ce qui veut dire que tout le monde va un jour mourir, que la vie va disparaître, et que l’univers va retourner à son néant premier.
Tout ça, tout ça pour rien.
4/4/21
La « Peinture métaphysique » (Pittura metafisica) se traduit par une pétrification, une fixité extrême, parménidienne, une lumière et une ambiance de fin du monde.
Mais, l’Être étant Devenir, il vaut mieux avoir recours à un… « cinéma métaphysique » car tout est mouvement incessant, du ballet des atomes à la révolution des planètes. Certains films muets, d’inspiration futuriste parfois, suggéraient ce mouvement perpétuel.
6/4/21
C’est terrible qu’un détail puisse tout gâcher, dis-je à l’artiste.
Et il me répond : « Oui, mais aussi étonnant qu’un détail puisse propulser l’œuvre bien au-delà de ce qu’on avait prévu ! »
8/4/21
« À l’artiste et à la pensée devrait s’appliquer ce mot de Nestroy : « j’ai fait un prisonnier et il ne me lâche plus », note Karl Kraus. Voilà une introduction spirituelle à l’obsession, philosophique et esthétique !
10/4/21
La sociabilité… Il se souvient d’un ami qui lui confiait : j’ai des sujets de conversation tout prêts, au réfrigérateur mental. Certains se réchauffent plus vite que d’autres. Ils contiennent assez de dissensus pour aller jusqu’à la discussion, mais pas trop pour éviter la dispute. Je lance l’un de ces sujets sur la table, et ça marche à presque tous les coups. Sinon, comme je l’ai dit, j’en ai d’autres en réserve…
Que cet ami lui ait avoué ce secret un peu cynique était pour le coup un signe d’amitié, pas de sociabilité.
12/4/21
Sa vie est vide, ça en est même étonnant parce qu’il n’arrête pas de la remplir… Il multiplie à foison les loisirs, les rencontres, il se gave de tout ce qui est possible, mais rien, sa vie reste vide. On dirait que c’est ce qui doit l’emporter, témoigner, s’imposer : ce vide.
Un panier sans fond ? Une plaque brûlante où tout s’évapore instantanément ? Quelle image pour rendre compte de son aboulie, de sa mortelle indifférence ?
Alors tu compares sa vie à celle de qui aime quelqu’un, ou se passionne pour quelque chose, et là tu comprends mieux la phrase de Lamartine : « Un seul être vous manque et tout est dépeuplé ». Son vide, c’est ce dépeuplement.
14/4/21
Qui aura suffisamment de compassion pour Salieri ?
Tout ce temps, ce labeur, toute cette peine et cette sueur pour n’obtenir que ça ? Que ça qui monte à peine ?... Et lui, lui ce Wolfgang-Amadeus, quelle grâce, quels traits de génie, quelle aisance merveilleuse avec si peu d’efforts apparents ! Quelle affreuse injustice !
La rivalité Salieri/Mozart n’est peut-être qu’une légende ou une exagération, mais ce qu’elle recouvre est bien réel : la tragédie secrète des tâcherons qui commettent l’erreur ou ont cette folie de se comparer à des génies.
16/4/21
Tu prends des autres, toujours, tu récupères ceci ou cela. Tu es bien content d’être un parasite. Le monde animal en regorge !... Et, pour ton grand bonheur, il y a toujours des gens qui pensent à donner, parce qu’ils sont généreux ou parce qu’ils veulent se débarrasser, ou encore parce qu’ils se sentent un peu coupables. Et toi tu ne manques pas une occasion de répéter que tu as peu de moyens. Alors tu prends chez celui-ci, tu demandes à celle-là, tu te fais aider par cet autre. Mais au fond tu te moques d’eux, parce qu’ils font les importants parfois, les puissants, les vaniteux quand ils te fournissent gratuitement ce dont tu as besoin.
Certains s’amusent du parasitisme social, de la grivèlerie, et du cynisme tranquille les accompagnant. Mais d’autres, sache-le, haïssent terriblement ces traits de caractère. Et parfois, cher épigone du « Neveu de Rameau », tu t’étonnes de la détestation que tu suscites…
18/4/21
Les soucis d’intendance, les tracasseries d’administration, la monstrueuse bureaucratie auront-elles, plus que tous les progrès techniques, définitivement vaincu le grand aventurier, « l’homme aux semelles de vent », comme Verlaine avait surnommé Rimbaud ?
20/4/21
La peur, le dégoût, la tristesse : comme il les retrouvait majoritairement chez ceux qui n’allaient pas bien, il s’était mis à imaginer un personnage qui en représenterait l’antithèse.
Courageux, ayant du goût pour tant de choses et joyeux, ce personnage serait né sous une bonne étoile. Il le voyait tonique, curieux et ayant une saine raillerie aux lèvres. Surtout pas aigri ni envieux, et ne s’attardant pas sur toutes ces pertes qui jalonnent le chemin des hommes. Finalement, c’est un personnage qui aime la vie et se colleter avec elle !
22/4/21
Le temps est linéaire, et s’enfuit, irréversible. Cette idée que tu as alors d’un saut de côté, à angle droit, pour bondir dans une poche d’éternité…
24/4/21
Quand elle souffrait trop de l’avoir perdu, elle lui parlait dans sa tête.
Le seul fait du message émis à destination de… faisait renaître le destinataire. Non pas qu’il lui répondît forcément, mais il était là de nouveau.
26/4/21
L’habitude est une forme de somnolence. Nous traversons notre quotidien comme des somnambules, jusqu’à ce qu’un penseur ou un artiste nous arrête, nous réveille et nous dise : « attention, tu allais traverser ta vie sans VOIR. Alors regarde, comme c’est magique, évanescent, miraculeux ! Car tout va disparaître. »
28/4/21
Paroles d’un très grand documentariste :
Voilà, je montre, je montre mais je ne conclus pas. Tu attends la morale de l’histoire, le jugement final pour être tranquille, mais il ne vient pas. C’est très frustrant et, à certains égards, intolérable. Mais comprends-tu, en procédant ainsi, je te permets de remplir cette case vide. Je t’y incite.
Je t’ai conduit jusqu’à ce moment où tu ne peux que souhaiter un autre monde.
30/4/21
Finalement, tout ce qu’a raconté l’instructeur militaire, moi je peux vous le résumer à l’essentiel, et il tient en ceci : « Soldats, en face de vous il n’y aura jamais que des choses nuisibles et dangereuses. C’est clair ? ».