1/4/23
Sans vie pas d’humanité. Sans matière pas de vie, organisation matérielle spécifique.
Alors, pour un athée, la référence ultime est la matière… juste à l’opposé de Dieu, représentant tout ce qu’il y a de plus immatériel, éthéré.
2/4/23
Le vieillard. Usé, épuisé par les fatigues, les multiples diminutions qu’il subit, la perte de tout projet, il en appelle doucement à la mort… Mais soudain il se ravise : le néant ? Non, quelle horreur ! Alors il supplie la vie d’un peu lui revenir, au moins de le réconforter. Elle revient, mais avec tout son lot de souffrances, d’amertume et de frustrations.
Alors le vieillard continue en soupirant d’endurer. Comme l’écrit si bien La Fontaine : « Mieux vaut souffrir que mourir, telle est la devise des hommes ».
3/4/23
Il identifiait la liberté à un espace. Un espace entre l’ego, ses limites et contraintes, et une instance (le Soi ?) qui l’observe, le supervise et l’enveloppe avec bienveillance. Il disposait de cet espace, c’était un privilège.
Je lui disais qu’il avait en quelque sorte intériorisé la figure de Dieu. Il me répondait qu’hélas, elle était loin d’être omnipotente, cette instance ou cette figure ! Je songeais : une figure maternelle peut-être…
4/4/23
La joie profonde, sans cesse renouvelée, de l’artiste, c’est tout ce qui peut sortir de lui… C’est une potentialité, mais elle se fonde sur la mémoire des puissances de créer, d’agir passées, naguère ressenties. Peut-être qu’elle dort, qu’elle s’est momentanément absentée, oui, mais il sait très bien qu’elle va, qu’elle peut revenir, cette puissance de créer.
Et cela seul le met en joie.
5/4/23
La comédienne salue et les regarde, toutes et tous, dans la salle à nouveau éclairée. Ils lui apparaissent au moment même où elle songe que tous ces humains vont un jour disparaître à jamais dans un noir qui ne sera plus rallumé. Leur condition reste la fragilité, l’éphémère…
Elle se rappelle alors cette phrase magnifique de Shakespeare : « Les hommes sont des oiseaux de passage ».
6/4/23
Il me dit : « Quand je suis allé dans les îles grecques, j’ai souvent vu des petits vieillards assis sur un banc tout l’après-midi et qui devisaient doucement entre des longs silences… Était-ce parce que le ciel bleu sans nuages et la mer scintillante au lointain donnaient une puissante impression d’immobilité ou bien parce que ces vieux semblaient hors de la temporalité des sollicitations et des soucis, mais je ne pouvais me départir de l’idée qu’ils avaient gagné la bataille contre le temps qui passe… Ils avaient selon moi accès à une sorte d’éternité du moment présent, la seule qui soit disponible à l’homme, et que nos trépidantes sociétés modernes, l’assimilant à l’ennui, ne reconnaissent plus ».
Et je songeais en l’écoutant que pour notre système, la seule bataille imaginable contre le temps était celle de la vitesse. Toujours « gagner du temps », selon l’expression, pour utiliser le temps gagné à en gagner davantage…
7/4/23
Dans le théâtre de Tchekhov, certains personnages expriment d’un seul coup leur complet désespoir, leur malheur incurable et puis ils passent à autre chose en riant… Il y a sans doute une grande force dans ce pessimisme gai, sans doute celui de Tchekhov qui a tenu à boire du champagne juste avant de mourir.
8/4/23
Étonnant la façon dont certains éprouvent comme une mort ce que d’autres ressentent comme une vie profonde …
Loin des tumultes du monde, il vivait pleinement son rapport avec sa musique, ses œuvres d’art, ses livres et films préférés. Mais pour elle c’était une espèce de mort, un enterrement.
9/4/23
Conflits derrière certains consensus, mais aussi consensus derrière certains conflits. Ne pas être dupes de ces jeux cachés.
10/4/23
Entre une abdication qui ne garantit nullement la paix (exemple : les accords de Munich) et une guerre dont on ne sait pas jusqu’où elle mènera, comment choisir ?
Il faudrait anticiper, et bien sûr on ne peut pas, mais à défaut avoir la vision la plus large possible de ce qui se passe dans le monde au moment où ce choix grave se présente.
11/4/23
Voltaire dit une phrase simple, juste et radicale : « Dans toutes les guerres il ne s’agit que de voler ». Seulement certains restent plus prédateurs que d’autres.
12/4/23
Conflit des couleurs sur sa toile qui en créait tout le dynamisme. Mais il ne supportait pas, et il finissait toujours par imposer une valeur dominante ou une harmonie cachée… Une réconciliation.
13/4/23
Les stratégies savantes et les astuces, l’idée initiale, les intentions… Tout s’effaça d’un coup, et le tableau surgit alors.
14/4/23
D’un certain point de vue, c’était dérisoire : la place à accorder à tel personnage dans le roman qu’il écrivait, ou à telle couleur dans la toile qui peignait, ou au retour de tel accord dans l’œuvre musicale qu’il composait. Mais d’un autre point de vue, cette totale liberté que l’artiste ressent dans la création, et que l’on a de moins en moins dans notre vie, reste tout à fait exaltante… Selon que le premier point de vue s’impose ou le second, l’artiste passe d’un sentiment d’enthousiasme à un profond abattement.
15/4/23
Quelle leçon à tirer de la mort ?
Renoncer à tout : rien ne sert à rien ? Profiter de la vie au-delà même de nos désirs ? Pratiquer l’humour à haute dose ? Se faire son allié en tuant ? Trouver une parade en offrant la vie à plein de rejetons ? Ou autre chose encore ?
Réponds, mort, quelle est donc ta leçon ?
Paul Valéry écrivait justement : « La mort nous parle d’une voix profonde pour ne rien dire ».
16/4/23
De temps en temps le citoyen se dit qu’il ressemble beaucoup à un rat qu’on placé dans un circuit prédéterminé, dont la destination et même les étapes ont été prévues.
Une technocratie et une bureaucratie arachnéennes ont tout organisé. La publicité lui offre l’illusion de faux choix entre des produits qu’il n’a pas demandés. L’industrie des loisirs endort sa vigilance. Et, quand on lui demande de voter, il a vaguement l’impression que, la couleur politique n’important guère au final, c’est toujours cette technostructure (Galbraith) qui gèrera son existence, en lui faisant croire qu’il vit dans une parfaite démocratie.
17/4/23
Ironie, en son for intérieur, de l’écrivain qui potentiellement s’adresse à tout un chacun : « En fait je suis un sauvage, alors que la plupart de mes semblables cultivent la sociabilité... Je suis infichu d’avoir une vraie relation avec une femme, que je garde à distance et/ou à laquelle je prête des qualités délirantes ne servant qu’à m’inspirer, tandis que mes semblables cultivent l’échange varié dans le couple… J’accorde une énorme importance à des formules pour moi parfaites, merveilleuses, alors que mes semblables s’en fichent complètement… Et pourtant je m’adresse à eux. Ils me lisent. Ils m’apprécient… Serait-ce qu’en chacun, il existe un fou solitaire, créatif, inavoué sous le vernis de la socialisation ? ».
18/4/23
Quel genre de partie d’échecs jouer contre la mort ? Il est question de mort dans les échecs : « mat » vient du persan « mãt » = mort. On est sûr de perdre. Le chevalier tente tout de même la partie, comme dans le célèbre film de Bergman, Le Septième Sceau. L’artiste joue le Fou. Deleuze écrivait cette phrase sibylline : « schizophréniser la mort ».
19/4/23
En méditant, l’on découvre la fuite démente des pensées qui n’arrêtent pas de se recouvrir, chevaucher l’une l’autre, de se distraire entre elles, et à une vitesse telle qu’on ne se souvient même plus de quoi telle ou telle pensée nous a distraits…
Or Kafka disait cela même de la vie : « La vie est une perpétuelle distraction qui ne vous laisse même pas prendre conscience de ce dont elle distrait ».
20/4/23
Son ami ? Certains jours, tristement, il se disait qu’en fait ils n’avaient pas grand chose à se dire, son ami et lui. Qu’ils surjouaient le plaisir à se voir pour dissimuler ce creux mutique dans la communication, qu’ils s’inventaient de faux débats afin de compenser leurs maigres dialogues, qu’ils insistaient sur leurs rares intérêts communs artificiellement, pour pas considérer l’étendue de leurs différences… Mais c’était ces moments où il doutait de toutes ses relations, amicales et amoureuses. Or rien ne tenait devant son scepticisme radical.
21/4/23
Les bonnes résolutions qu’ils et elles prennent tous les ans reposent toutes sur une confiance naïve dans la toute-puissance de la volonté. Or cette faculté reste en partie mythique… Il y a des « volitions », c’est certain, mais toutes sont le fruit mûr d’un cheminement, souvent long d’ailleurs, impliquant une restructuration de la personnalité. On est bien loin du claquement de doigts de la volonté omnipotente sur laquelle on fait reposer tant d’améliorations de soi !
22/4/23
Elle avait l’impression qu’il y avait dans sa tête une caissette étiquetée « Soucis ».
Cette caissette se remplissait régulièrement, elle s’y était habituée. Et, lorsqu’elle ne se remplissait pas, elle allait mentalement bien vérifier qu’il n’y avait pas un souci dissimulé…
Un jour elle a réalisé qu’il y avait des gens qui tout simplement n’avait pas en eux une pareille caissette. Et le qualificatif d’« insouciant » qui n’avait jusqu’à présent rien signifié pour elle, prit tout son sens.
23/4/23
- Je vous propose un médicament qui à la fois vous déshinibe, distend la temporalité, fait oublier vos soucis, embellit la réalité et facilite l'euphorie...
- Je prends ! Qu'est-ce ?
- Une bouteille de vin !
24/4/23
Il m’a dit : « Auschwitz est la capitale de la douleur. On peut se répéter que de telles abominations qui dépassent l’entendement et même l’imagination ont été perpétrées par des nazis, des Allemands et, n’étant pas plus nazi qu’allemand, se sentir à l’extérieur, intact. Mais ces Allemands nazis, qu’étaient-ils d’autre que des êtres humains ? Des humains qui furent capables, ont même choisi de faire ça. On appartient tous à la même espèce Homo sapiens. Alors les crimes incommensurables de ces humains, en tant qu’humains on est dedans, et certainement pas intacts… Dès lors, une honte, une douleur que plus rien ne peut effacer demeurent en chaque être lucide. Toutes les autres douleurs morales restent limitées, périphériques…
Oui, Auschwitz est la capitale de la douleur ».
26/4/23
Tchekhov est sans doute le seul artiste qui associe la beauté à la gravité. Ce qui ne l’empêche absolument pas de jouer sur le couple gravité/légèreté pour mieux faire sentir la première… Or, pour beaucoup d’artistes, la beauté renvoie à une notion de gratuité et, par là, de liberté. L’idée de gravité leur paraît trop pesante, sérieuse pour l’art.
La notion de gravité nous renvoie en effet au sérieux, à l’importance des choses. Or l’échec d’une vie, l’amour ou le bonheur impossibles (thèmes récurrents chez Tchekhov), pris dans notre finitude, sont des thèmes existentiels. Et ils prennent toute leur force au théâtre. Songez-y : nos existences entières saisies sur la scène !
Sa définition de la beauté se cantonne en fait au théâtre. Mais elle n’est pas exclusive, car le théâtre, comme art, en recèle une autre, toute aussi justifiée, qui renvoie au charme du jeu, des apparences, et cela avec des effets comiques ou métaphysiques.
27/4/23
La réflexion sur le progrès moral de l’humanité, possible ou impossible, ne peut faire l’économie d’une réflexion sur la haine, qui est une passion.
Les animaux sont incapables de haine, de passions. Comment se départir de l’idée que les hommes (que l’instinct ne régule pas, contrairement aux animaux) aient à maîtriser leurs passions en général et la haine en particulier, pour accomplir un progrès moral substantiel ?
28/4/23
C’était une grosse illusion. Mais à certains égards, c’était une erreur. Et parfois même une hallucination… Il ne l’aimait pas, tout le monde l’avait bien compris, sauf elle.
L’illusion consistait en ce qu’elle embellissait la dure réalité de sa froideur. L’erreur tenait dans tous ces raisonnements bancals qui lui « prouvaient » qu’il l’aimait toujours. Mais, pour ses amies, le plus grave était qu’elle voyait parfois des gestes qui n’avaient pas eu lieu. « L’amour est aveugle ? Non, c’est pire : il hallucine… », soupirait sa meilleure amie.