1/12/23
Il me répète son admiration pour les femmes, qui seraient moins désespérées, parce que plus aimantes, que les hommes : "Il y a un principe de vie chez elles, liée à la maternité ou à autre chose, un dévouement qui les mobilisent plus durablement que ne peuvent le faire le goût du pouvoir, l'agressivité ou le besoin de reconnaissance des hommes. Et cette force se reconnaît davantage à la vieillesse... Elles vieillissent mieux et vivent plus longtemps que les hommes".
Mais pour moi, les hommes et les femmes ne sont que des actualisations singulières de deux pôles : le féminin et le masculin. Et, au cœur de ces pôles, des principes aussi abstraits que le Yin et le Yang.
2/12/23
Pourquoi l'on se sent bien dans ce bistro ? Il suffit d'observer les gens tout autour : un mélange des âges, des styles et des activités. Donc pas de tribalisation, de ségrégation ni de spécialisation. L'amorce d'une utopie réalisée dans un simple café...
3/12/23
Comment le sexe et la mort sans cesse se renvoient la balle... Et l'interminable partie se déroule dans le blafard royaume d'Absurdie.
Fuyez-le, fuyez-le si vous voulez être paisiblement heureux !
4/12/23
Spécialisation : tu t'enfonces, t'enfonces dans ton sujet... Tu en as oublié du coup les multiples connexions de surface avec d'autres sujets !
5/12/23.
C'est une génération qui s'est vécue comme essentiellement, foncièrement jeune parce qu'elle a pris conscience d'elle-même, puissante du boom démographique dont elle était issue, lors d'un mouvement historique juvéniliste, de contestation généralisée de l'ordre ancien. Une génération qui ne devait pas, ne pouvait pas vieillir. Forever young... Une chanson emblématique de cette génération où il est dit : C'est si dur de vieillir sans raison/ Je ne veux pas périr comme un cheval épuisé/ La jeunesse est comme les diamants au soleil/ Et les diamants sont éternels.
Mais le temps reste le même pour toutes les générations... Et cette génération s'est retrouvée totalement ahurie dans l'âge adulte puis dans la vieillesse. Différents symptômes tragi-comiques mais logiques se manifestèrent alors, du port du jean et de chemises bariolées à la participation à des concerts rock à l'âge de 75 ans, en passant par des relations amoureuses avec des jeunettes... Cette génération avait-elle des passions particulières ? Elle n'en avait pas vraiment besoin puisque sa seule passion est, selon le philosophe Alquié, à l'origine de toutes les passions : le désir d'éternité.
6/12/23.
Elle me demande : comment trouver sa place en vivant avec un artiste ?
Et je lui réponds : ne pas en occuper beaucoup... ou bien gérer le matériel et l'intendance, ou alors être une complice en devenant soi-même une autre artiste.
Ce n'est pas très romantique... Mais bon sang pourquoi donc vouloir vivre avec un artiste ? Quelle idée !...
7/12/23
Elle avait vécu tant et tant d'années dans une vie rêvée...
Nous avons tous une vie rêvée et une vie réelle, mais pour la plupart d'entre nous la vie réelle est l'espace de nos effectuations concrètes, tandis que la vie rêvée n'est qu'une fantasmagorie que nous visitons de temps en temps, quand nous sommes trop frustrés par la vie réelle et ses limites.
Mais elle vivait dans une quasi-absence sa vie réelle, presque comme une somnambule, tandis qu'elle caressait avec une telle force les illusions de sa vie rêvée que cette dernière jouissait, comme certaines hallucinations, d'un remarquable coefficient de réalité... Ah, elle n'appartenait certainement pas à la banalité mesquine, à la médiocrité dans lesquelles pataugeait son entourage ! Elle était donc peu affectée par les revers de cette vie réelle qui la concernait à peine.
En référence à la célèbre héroïne de Flaubert, certains psychologues ont donné le nom de bovarysme à cette conduite. Lorsque (et si) le bloc de verre agrémenté de la vie rêvée se brise, le choc est d'autant plus terrible que la personne se rend compte qu'elle n'a jamais réalisé sa vie rêvée et surtout qu'elle est en bonne partie passée à côté de sa vie réelle.
8/12/23
Il me dit que par excès de sens, qui vont dans tous les sens et sont accessibles sur toute la planète par les techniques de communication actuelles, l'apparition de ce concept de "post-vérité", si choquant soit-il, ne l'étonne guère... Même la science se voit contestée, tout comme des valeurs que l'on pensait universelles. Il en conclut que l'avenir de l'Homme devrait logiquement être la folie. La folie maniaque...
Je me suis alors rappelé que ceux qui étaient atteints de cette psychose pouvaient, dans un grand moment d'excitation, mettre le feu à la baraque. Comme il s'agit de l'humanité entière, ce serait alors l'apocalypse...
9/12/23
Les grands défis à relever pour ce XXIème siècle, les humains ne pourront y répondre qu'avec l'aide d'une intelligence artificielle. Or, comme s'ils l'avaient pressenti, les humains ont inventé cette technique dans ce moment-là.
10/12/23
Les conditions de travail. Aussi bien pour les ouvriers, les employés que les cadres... Voilà le véritable indicateur d'une "civilisation juste", si ces mots ont encore un sens. On n'y est vraiment pas.
11/12/23
Elle me dit que parfois ceux qui n'aiment pas ont simplement le cœur gelé, le cœur indifférent et qu'alors la haine qu'ils peuvent un jour éprouver constitue un... progrès. Elle exprime la haine secrète ou le non-amour qu'ils ont subis dans leur enfance.
De la haine à l'ambivalence et de l'ambivalence à des élans d'amour... Le chemin hors de l'hiver devient perceptible.
12/12/23
La mort comme le sombre miroir dans lequel se reflète notre vie.
C'est le Jugement dernier et c'est nous qui devons le prononcer. Voilà pourquoi la plupart d'entre nous évite de voir ces reflets dans le marbre noir...
13/12/23
Dans une lettre à Gabriel, Picabia écrit : "Il y a une chose épouvantable, c'est le silence du bruit que font les amis avec leurs conversations, ce désert sans soleil, au milieu de l'épidémie des impuissances. Je renonce à chercher mon semblable".
Comment les amis pouvaient-ils converger un minimum avec une personnalité aussi divergente que celle de Picabia ?
14/12/23
Un mode de vie heureuse :
d'abord trouver et ressentir en soi des capacités, une puissance d'expression. Affirmer ensuite la vie en passant par des objets, des êtres dont nous ne serions pas dépendants puisqu'ils ne sont ici que des occasions. Enfin, plus besoin d'une confirmation de soi extérieure pour exister. On peut jouer, sans réponse, de l'expression.
15/12/23
Certains rêves, fort désagréables, nous font revivre, parfois en pire, des situations contraignantes du passé que nous n'endurons plus heureusement.
C'est comme s'ils nous enjoignaient de profiter plus largement de notre relative liberté présente ou, à tout le moins, d'en être davantage conscients.
16/12/23
De la robotique dernière génération aux rapides progrès de l'intelligence artificielle, à laquelle on rajoute des éléments d'intelligence émotionnelle, vraiment tout est fait par le système pour rendre la grande majorité des travailleurs tout à fait remplaçables.
Cela oblige à s'interroger sur ce qui fait d'un travailleur, et peut-être un jour d'un humain, un être irremplaçable.
En-dehors d'un principe éthique concernant la personne humaine immédiatement brandi, il n'est pas facile de répondre à cette question...
17/12/23
En soupirant, mais avec un sourire, il me dit : "Ah, j'aimerais tant pouvoir écrire "ma vie s'écoule" de cette autre façon : "ma vie c'est cool !"." On appelle ça un allographe...
18/12/23
Elle m'affirme que, sauf en analyse ou par une courageuse introspection, les gens ne regardent pas leur intérieur. Ils seraient horrifié par leur bassesse, leur égoïsme, leur vanité, leurs mesquinerie... Ils se persuadent que l'image aseptisée ou valorisée qu'ils présentent d'eux-mêmes aux autres est leur vraie nature. Ce faisant ils ne s'améliorent pas... Et à certains moments cet intérieur se manifeste. Ils en sont effrayés.
Je lui dis que je préfère dire : l'homme est ce qu'il fait. Plutôt que ce qu'il cache (psychanalyse). L'action, la création demandent bien plus d'eux-mêmes que ces misérables petits secrets...
19/12/23
Il me dit : "Ils ont remplacé la grande fête du polythéisme par l'austérité du monothéisme, se disent Peuple Élu, peuple du livre, et ils dédaignent fièrement tout prosélytisme. En plus ils sont peu nombreux... Étonne-toi qu'ils soient haïs, persécutés par les masses de brutes, d'envieux et de médiocres !"
20/12/23
Sans la mythique notion de pureté, le racisme ne peut pas fonctionner.
21/12/23
Les peurs imaginaires débordent tellement les peurs justifiées que les personnes qui en sont l'objet commettent de graves négligences.
22/12/23
Que les egos se dissolvent dans l'omnipotente Consommation, voilà qui peut leur être insupportable... Aussi la société de consommation nous vend aussi de la distinction, une originalité factice. Soyez différents ! Soyez uniques !... La marque et le luxe (cf. l'essai de Lipovetsky sur le sujet) constituent des transcendances dans la société de masse.
L'un des effets collatéraux de cette offre marchande de distinction est qu'un certain nombre d'egos se sont vraiment mis à croire qu'ils étaient vraiment très originaux... Pseudo-artistes et faux excentriques ont alors vu le jour, entretenant à grands coûts psychologiques le mythe de leur grande originalité.
La société de consommation de masse et la quête anxieuse de distinction forment un tout cohérent. La dévastation écologique de la planète obligera à sortir de l'une et donc modifiera l'autre.
23/12/23
Ce dont l'humanité est capable... Grâce à ses "champions". Champions du sublime, champions de l'horrible.
L'immense Édifice prend ainsi de nouvelles dimensions. Mais Il ne tiendrait pas un instant sans la contribution immense et anonyme de l'"Homme moyen".
24/12/23
Rôle de l'extrême division du travail, de l'aliénation sociale et de l'abrutissement par les loisirs de masse dans les limitations mentales de l'"Homme moyen".
25/12/23
Disparition de l'"Homme moyen" : en une sorte d'utopie enveloppée de religiosité, Kafka disait que les temps messianique seraient là lorsque chacun pourrait enfin exprimer, vivre pleinement sa singularité.
Mais est-ce envisageable socialement parlant ?
26/12/23
Démocratie et totalitarisme (H. Arendt). Dans le second système la norme est imposée par la peur. La norme reste donc encore perceptible, consciente. Sauf pour les jeunes générations élevées dans des organisations de masse et précocement conditionnées...
Mais dans le premier système (démocratie libérale), la norme est bien plus subtilement, voire agréablement (Mode, publicité, consommation et art de vivre) instillée. Aussi reste-t-elle inconsciente.
Le projet de manipuler l'inconscient de l'Homme moyen démocratique est clairement exposé et mis en forme très tôt (cf. travaux de Bernays, Dichter après-guerre).
27/12/23.
"Les gens sont robots la plupart du temps et, quand on les connaît un peu, tellement prévisibles !...", se lamente-t-il.
Terrible : j'avais prévu qu'un jour ou l'autre il allait me dire ça...
28/12/23
Gaspillage de la jeunesse et parcimonie de la vieillesse... Ironiquement les conditions économiques actuelles sont en train d'inverser le cours naturel des choses.
29/12/23
Maudite soit cette Histoire dans laquelle tous les dictateurs nationalistes vont puiser un épisode supposé glorieux de leur nation pour tenter violemment de le réactualiser par leur politique expansionniste et guerrière !
30/12/23
Un avantage mineur du désespoir lucide : ne pas se laisser avoir par la plupart des escroqueries en général fondées sur nos illusions naïves.
31/12/23
Pour le fleuve continuel et abstrait du temps, la fin d'année et la nouvelle année ne parlent de rien d'autre que de ces cadres culturels et conventionnels qui le "spatialisent", mais auxquels les humains s'accrochent pour avoir des repères. Aussi pour ne pas être emportés...
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