1/12/21
Peut-on vivre sans illusions ?
Parce qu’ils sont agréables pour nous, ces jugements erronés et ces croyances fausses accompagnent durablement notre vie comme une lumière artificielle... Si nous parvenons à nous en en débarrasser, les choses reviennent à leur juste place, qui en général déçoit l’enfant et l’idéaliste en nous. Alors, lucides mais désespérés, nous nous enivrons d’une manière ou d’une autre par compensation, pour oublier et nous extasier pour un rien.
Mais si, sans alcool ni drogue, nous arrivions enfin à ressentir le simple miracle de vivre, ou alors si nous tirions de grandes joies de ce que nous faisons, alors nous ne risquerions plus d’être déçus par la réalité, les autres et le monde tel qu’il va.
3/12/21
Comment fais-tu, mon cher Antòn, pour être si humain ?
Tous les médecins écrivains - regarde Schnitzler, qui est si froid et sombre - ne le sont pas forcément ! Alors est-ce parce que tu es toujours attentif et que tu comprends ? Ah oui, comprendre les autres, se mettre à leur place, mimer leur être pour mieux le saisir ! Voilà pourquoi tu as écrit du théâtre… Et puis tu n’obéissais pas à une esthétique particulière qui oriente ta compréhension généralement dans le même sens, comme le naturalisme pessimiste d'un Maupassant par exemple. Non, tu comprenais les gens aussi bien dans leur malheur que dans leur joie, leur plaisir, leur grandeur, leur médiocrité, leur inconstance, leur fidélité. Sans doute n’est-ce qu’une compréhension en surface, mais cher Anton, comme un sentiment d’humanité s’en dégage !
5/12/21
La logique commerciale, publicitaire a envahi largement la politique, et cela s’appelle la… « communication ». C’est-à-dire un mensonge savant, avec quelques éléments de vérité, beaucoup d’euphémismes, et de la psychologie de bazar. Les gens ne sont pas idots au point de ne pas le ressentir, et ils se détournent avec un secret écoeurement de cette tromperie.
7/12/21
Il a écrit les choses les plus dures mais dans un grand style.
Et voilà que les choses dures s’effritent et il ne reste que la splendide, l’infrangible colonne du grand style classique. Car, comme l’écrivait John Keats, « A thing of beauty is a joy for ever ».
Il a écrit les choses les plus dures mais avec humour.
Et voilà que les choses dures se gondolent comme un reflet dans un miroir déformant, car l’humour est la folle trouvaille qui ouvre sur l’absurde chaos.
9/12/21
Mon enfant, ce contre quoi tu vas devoir maintenant t’armer, ce n’est pas contre la haine – elle reste beaucoup plus rare que ce que les fictions t’ont raconté -, ce n’est pas contre l’amour envahissant, exclusif – tu peux en rêver d’abord, puis le craindre, mais lui aussi est fort rare -, non, c’est contre l’immense, l’universelle indifférence…
Elle vient de ce que chacun est occupé par ses affaires, les yeux fixés sur la prochaine étape de son chemin, et elle fait qu’à l’exception de tes proches et de ceux qui ont quelque intérêt avec toi, en dépit des apparences polies, tu ne trouveras autour de toi que diverses formes d’insensibilité désinvolte. N’enrage pas, elle commence à t’habiter déjà… L’amour, l’affection soutenue que tes parents t’ont portés étaient une exception. Intègre cet amour en toi, et sois gentil, amical avec toi-même. Si par hasard tu rencontres à quelque occasion un réel intérêt pour ta personne, c’est un improbable supplément, mais ne compte pas trop dessus !
Je te dis tout ça, mais je sais bien que tu auras toujours la nostalgie qu’un être puisse te remarquer, te sortir de l’anonymat, et se mettre à t’aimer comme ta mère le fit. Alors voici un beau projet politique : peut-être devrions-nous construire un monde où chacun pourrait un peu materner l’autre, à différents moments de la vie…
13/12/21
- Comment pourrais-je comprendre un tueur de la Camorra napolitaine ?...
- Imaginez un instant que vous ayez à jouer ce rôle dans un film : il vous faudrait faire l’effort de vous mettre à sa place. Imaginer son enfance, le milieu dans lequel il a poussé, l’avidité, la brutalité, la perte progressive de tout sens moral…
- C’est tellement loin de moi ! J’en serais incapable.
- Quelles que soient les constructions humaines et si différentes, incompréhensibles qu’apparaissent leurs architectures, rappelez-vous que c’est avec les mêmes briques de base que nous sommes tous édifiés.
17/12/21
Pourquoi certains vieux ont-ils l’impression pénible qu’en fait, quoi qu’ils fassent et quelles que soient leurs distractions, ils ne font qu’attendre la mort ?...
Est-ce parce que la vie professionnelle, sociale de leur maturité était assez prenante pour dissimuler cette impression qui, à la retraite, resurgit ? Est-ce parce que la mort s’est suffisamment rapprochée pour que son échéance relativise tout ce qu’on peut faire avant ?
Ou est-ce parce que ne s’étant pas vraiment confrontés à elle, ils s’agitent pour faire diversion, ce qui est le meilleur moyen d’annuler indirectement tout ce qu’ils font, et de leur donner cette pénible impression d’attente ?
21/12/21
Quand il voyait un stylo, un crayon, il imaginait en même temps toutes les lignes, tous les dessins qui pouvaient en sortir. Et cela lui garantissait comme une créativité infinie et, par là, une sorte d’éternité.
25/12/21
De belles paroles idéalistes, une mixture de sagesse supposée immémoriale et de fumeuses perspectives scientifiques d’avant-garde… Voilà le contenu de leurs livres, de leurs conférences. Et les gens, qui étaient si malheureux et incapables de supporter cette absence de religion dont ils avaient hérité, les gens que torturaient des peurs et des espérances confuses, buvaient avidement ces belles paroles sucrées et parfumées.
27/12/21
Elle n’arrivait pas à croire que d’autres personnes puissent lui être hostiles. Elle ne le comprenait pas, même elle s’en effrayait. Elle préférait alors céder du terrain, perdre son intégrité. C’était une faiblesse, mais il est vrai qu’elle n’était pas la seule à réagir ainsi. Combien ne supportent pas l’antipathie que d’autres peuvent éprouver à leur égard !
29/12/21
Le peuple contre les pouvoirs en place devenus iniques, odieux, et qui le matent avec leur police, leur armée. Le peuple comme un enfant rebelle devant des adultes ignobles, injustes. Le peuple a certes le nombre avec lui mais, naïf, brouillon, spontané comme l’enfant, il se fait avoir chaque fois... Alors il n’a plus qu’à attendre les divisions internes des pouvoirs en place et à intelligemment s’organiser pour que son heure puisse enfin sonner.
31/12/21
Dans son ivresse, une « fin d’année » se transformait – et c’était comique quand il pensait à tout ce qu’avec bonne conscience il avait ingurgité – en… « faim damnée ».