1/2/19
Trois niveaux de regard, dans la ville, et trois rapports à notre société :
1) tu regardes essentiellement les rez-de-chaussée, donc les boutiques (tu fais du "lèche-vitrine"), les cafés, restaurants pour te mêler aux autres. Tu es bien adapté à la société de consommation.
2) tu regardes surtout les étages au-dessus, les façades, donc l'architecture : alors l'art, les styles, les valeurs formelles t'intéressent plus que les marchandises.
3) tu regardes, par-dessus les toits et terrasses, le ciel, les nuages qui s'étirent dans la voûte... Les valeurs spirituelles, peut-être transcendantes, te fascinent davantage que l'humain et ses productions.
3/2/19
Les journées s'allongent... Les matins s'allument plus tôt, et de légères aquarelles de soirées pervenche semblent possibles. On commence juste à entrevoir la fin du tunnel sinistre.
Mais on n'arrive pas à y croire tant le ciel, blanchâtre, délavé, plaque sur la ville la bâche glacée de l'hiver.
5/2/19
Un si beau visage !
Il s'imagine alors coexistant avec ce si beau visage... Une autre vie, songe-t-il : du matin au soir, beau visage. Mais bien entendu, il faut faire confiance à la marâtre Habitude pour lentement couvrir de poussière l'éclat de "beau visage" !
Mais de temps en temps, un coup d'aspirateur et resurgit "beau visage" (quel chance ai-je donc de vivre avec ce beau visage !), jusqu'au moment où ce n'est pas plus le ravissement que l'habitude qui l'emporteront, mais tout ce qu'il y a derrière "beau visage" : un "ego" avec ses besoins, ses intérêts, ses limites, ses nuisances.
Et alors "beau visage" est à peu près définitivement oublié...
7/2/19
Non, jusqu’à présent, se dit le promeneur, je n’ai rien trouvé de plus beau que la lumière du soleil, éclatant en jaune d’or sur les trottoirs, déclinant en rose tendre sur les façades d’immeubles, ou s’empourprant derrière les nuages au crépuscule… Chaque fois, je suis étonné, ébloui, muet d’admiration, et je comprends si bien les derniers mots de Goethe, au moment où la Nuit absolue allait l’engloutir : « Mehr Licht ! », « Plus de lumière ! ».
9/2/19
Tant mieux d’un côté (vous vous rendez compte, s’il avait fallu attendre que la Justice advienne dans notre monde !), que le sentiment de beauté - par la création et la contemplation - ait pu se manifester au cœur de l’injustice, et même de la cruauté, de la tyrannie.
Et en même temps hélas, hélas, hélas ! Quelle peine infinie !...
11/2/19
De parler fort pour se faire entendre à se comparer aux autres en s'évaluant au mieux, en passant par la protestation contre l'état des choses : il y a tant d'attitudes et conduites pour bien se prouver qu'on existe...
Mais pourquoi, de temps en temps ne pas s'effacer, se dissoudre, juste pour laisser les choses être, et resplendir ?
13/2/19
Les bons souvenirs de voyage qui n'arrêtent pas de remonter à la surface...
Il est donc temps de partir, de se dépayser. Quitter le pays, estompé par les habitudes perceptives, fatigué par les ancrages, puis tenter (en vain) d'habiter un lieu qui n'est pas le sien.
Ne pouvant pas l'habiter, on s'accroche à ce qu'on y voit, entend, éprouve. D'où ces images intenses que l'on rapporte et n'oublie pas de sitôt.
15/2/19
Chacun de nous est un innocent condamné à mort en sursis.
Toutes les folies que nous pensons et faisons pour oublier ça ! Nous méritons beaucoup d'indulgence...
17/2/19
Ces promenades au soleil où, peu à peu, le flux des pensées s'accorde avec le défilé des impressions visuelles et sonores. Ce qui fait qu'une pensée négative ne peut longtemps se ressasser. Ou alors c'est que nous nous promenons en somnambule.
19/2/19
Liens entre la nostalgie et le peu d'éclat du présent, ou le peu de promesses du futur. Alors le passé se voit embelli, transfiguré... Il a le statut enviable de l'être puisqu'il est révolu. Tandis que notre présent se voit sans cesse dérobé par le futur proche.
Liens entre la nostalgie et le pays de l'enfance. Celui où le présent était découvertes, et le futur un vaste champ des possibles. Le pays où vivre, c'était d'abord jouer.
Liens entre la nostalgie et une leçon d'art : fais en sorte, artiste, qu'un instant peint, chanté, écrit, filmé, devienne inoubliable et, ce faisant, apte à susciter une puissante nostalgie.
Alors ami, si tu veux lutter contre la nostalgie, fais en sorte de vivre de façon à en créer pour demain.
21/2/19
Dans beaucoup de cas, vous vous dites, l'autre nous distrait simplement de notre solitude.
Mais quand l'autre donne le sentiment de nous sortir de la solitude, le plus souvent il y a eu surtout cristallisation de nos idéaux, projection de nos désirs non reconnus, multiples erreurs d'appréciation.
Enfin, quand l'autre nous a réellement sortis de notre solitude, vous comprenez qu'il y a eu non seulement reconnaissance puis connaissance de son altérité, mais encore intérêt, amour véritable pour cette altérité.
Mais alors vous pensez tristement qu'entre les narcissiques, les vaniteux, les égocentriques, les ambitieux, les égoïstes, il ne reste pas beaucoup de place pour les personnes qui peuvent avoir un intérêt durable et sincère pour l'autre...
23/2/19
Dans un film de l'iranien Mohsen Makhmalbaf, un personnage dit : "Je suis tombé amoureux en regardant la mer, je ne savais pas encore de qui". C'est ainsi que beaucoup ont envie d'être amoureux avant même de rencontrer une personne qui les attirerait. Ils s'écrieraient presque : "laisse-moi juste éprouver le choc amoureux, qui remet en branle tant de sentiments assoupis ! Ne m'aime pas si tu veux, mais ne me rejette pas, laisse-toi juste aimer, car mes rêveries devant la mer m'ont donné envie d'être amoureux".
25/2/19
Il vaut mieux ne pas trop penser précisément à ce que serait le Paradis, car toutes les tentatives humaines pour s'en rapprocher - surtout conçues à l'usage des milliardaires - finissent pas ennuyer de manière si grave, si profonde, qu'une torpeur, puis un accablement indicible poussent les clients de l'Éden (non à désirer l'enfer par opposition, certes, mais) à vite se replonger dans le cours normal des choses.
Les paradis sont vaguement imaginés, ou nostalgiquement perdus, bref demeurent flous, mais à les percevoir ou les concevoir concrètement on finit par bâiller tôt ou tard.
27/2/19
Comment naît en général le besoin d'ivresse puis l'éthylisme : on souhaite éprouver un élan vers l'autre qu'en réalité on n'éprouve pas, une envie de s'épancher qu'en fait on n'a pas tant que ça, ou bien l'on a envie d'une sorte d'amour universel trop vaste pour sa petite personne, ou encore d'une temporalité ralentie que le flux mental ne permet pas. En somme des choses qu'en fait on ne veut pas ou alors on ne peut pas.
L'alcool (ou d'autres drogues) permet ces mensonges, ou ces illusions de changement intérieur. Mais rien en fait n'a été transformé : on est toujours aussi froid, distant, égocentrique et stressé.