1/2/22
La plénitude, la vacuité. Deux modalités privilégiées à vivre.
Être plein de ce qu’on fait, de ce qu’on crée, de ce qu’on aime, de ce qu’on désire. Joie, enthousiasme… Critique : la valeur éthique de ce qui emplit, porte n’est pas garantie.
Être vide, siphonner le mental pour être réceptif au monde, à sa Présence (épiphanies) et à son extraordinaire richesse… Critique : cet état doit être cultivé, non subi (dépression).
3/2/22
L’épicurisme (Épicure, Lucrèce, et non l’hédonisme avec lequel on le confond) reste la sagesse garantissant un bonheur de base avec un minimum d’illusions.
Un désespoir serein que le bleu magnifique de la mer et du ciel grecs aidaient sans doute à conserver.
5/2/22
Certains êtres aiment surtout qu’on leur foute la paix.
Ils sont bien dans leurs livres, leurs idées, peut-être leur collection de timbres ou leur herbier. En général doux et pacifiques, ils se contentent de rapports aimables, distants et plutôt rares avec les autres. Et ils peuvent être très heureux comme ça.
Mais, comme ils sont vécus, perçus de façon inappropriée comme des « sages », ils ont tendance à attirer des fous, des malades, des excité(e)s en tous genres… Aussi doivent-ils, plus que d’autres, protéger leur bulle, leur terrier, le monde tranquille qu’ils ont construit.
7/2/22
La question n’est pas : est-ce que le pouvoir ment ou dit la vérité ? Mais plutôt : en quoi consiste son mensonge actuel ? Ce qui laisse entendre qu’aristocratique, autocratique, ploutocratique, technocratique, etc. le pouvoir, à tout moment, doit bâillonner ou tordre certaines vérités qui affleurent et le dérangent. Même dans la démocratie représentative, la classe politique qui a été créée, doit, pour garder le pouvoir, « communiquer » d’une certaine façon, c’est-à-dire mentir... Bien entendu, énormément de vérités ne dérangent pas le pouvoir, et il peut donc se permettre, les concernant, d’être vérace. Voilà pourquoi le complotisme paranoïaque reste excessif et inadapté. Il nuit même à la vigilance nécessaire du citoyen.
9/2/22
« C’est curieux… », disait-il souvent.
Mais ceux qui le connaissaient bien savaient que c’était lui qui était curieux de tout, c’est-à-dire éveillé… Lui qui remarquait, s’étonnait, voulait comprendre. Il acceptait même ainsi de laisser certaines de ses questions sans réponse. Dès le matin, il était en état d’éveil quand la plupart continuent de somnoler dans l’habitude et l’ennui de base.
11/2/22
L’artiste : toujours l’enfant gâté, l’enfant maudit des sociétés largement dominées par la rationalité. Sur un fond d’irrationalité profonde, inconsciente, d’ailleurs.
13/2/22
L’un des rôles de l’artiste : nous faire croire, par le mot, l’image, la musique, que la vie est plus fabuleuse, extraordinaire, fantastique, délirante même qu’elle nous apparaît. Cette fonction d’« idéalisation » reste dominante, sous de nombreuses formes. Le réalisme, le naturalisme, le vérisme, etc. demeurent minoritaires dans l’histoire des arts.
15/2/22
Elle parle toute seule et avec animation dans la rue. Elle doit être un peu folle… Mais non, deux embouts blancs qui sortent de ses oreilles indiquent qu’elle est en pleine communication téléphonique intense avec un être absent.
Il parle avec elle dans le café. Mais à l’évidence, et bien qu’elle soit en face de lui, il n’est pas avec elle, il est absent. Peut-être pense-t-il à autre chose ou bien attend-il un appel sur son portable. Elle-même d’ailleurs ne semble pas en être affectée.
Voilà bien notre merveilleux monde numérique : on est très présent avec des absents, et absent avec des présents.
17/2/22
Sans doute les êtres narcissiques se retrouvent-ils dans le caractère impénétrable et royalement égoïste des chats. Aussi les chats parviennent-ils à susciter l’amour, voire la passion de ces humains si peu excités par les autres.
19/2/22
Ah comme elle s’occupe bien de son grand homme cette petite femme !
Elle ouvre son courrier, lui achète ses tricots, surveille sa digestion, prépare ses petits plats préférés, et lui peut sans entraves voguer dans ses amples spéculations… Et comme toutes ses pensées sont significativement hors-sol !
Le philosophe Alain remarquait finement qu’un idéaliste était quelqu’un à qui le repas venait tout servi.
21/2/22
Le travail de la mort en soi : un serein désespoir.
On ne croit plus à toutes ces histoires que l’on se racontait à soi-même, à tous ces débats intérieurs et à leur théâtre cornélien, à ces illusions d’où l’on ne sortait que pour en édifier une autre, bref à toute cette palpitante dramaturgie conférant à la vie une éternité de rebondissements. Tout cela n’avait plus grande importance.
On s’en trouvait rasséréné, mais aussi complètement désespéré.
23/2/22
Le projet de la grande politique, pour reprendre l’expression de Nietzsche, se situerait au niveau élevé d’une « plastique sociale » (Beuys), façonnant une nouvelle civilisation.
Une civilisation qui ne se contenterait pas de donner les moyens de lutter le plus possible contre la mort (médecine, santé), ni de nous en divertir de mille manières (consommation) comme c’est toujours le cas, mais de l’humaniser, de la conscienciser le mieux possible afin qu’elle ne soit pas refoulée, déniée jusqu’à ce point absurde où l’on en augmente la puissance, l’extension par les guerres, les massacres.
Cette civilisation célèbrerait la vie, au nom de la mort omnipotente, omniprésente… Mais n’est-ce là qu’un beau rêve qui ne tient pas compte des chocs entre les civilisations ?
25/2/22
L’imperium qui ne supporte pas d’avoir perdu sa gloire passée...
Que ce soit par leurs colonies ou les nations qu’ils ont conquises ou inféodées à leur puissance, les empires supportent mal leur déclin. Leur nationalisme se nourrit d’une mémoire avantageuse, et leur agressivité belliqueuse d’une frustration longtemps remâchée.
Réarmement massif, enrégimentement de la population, prétextes fallacieux et voià que s’ébranle la machine de guerre. Les petites nations échappent, n’ayant jamais dominé, à ce destin funeste… Sauf si elles deviennent la proie de ces empires en quête de revanche.
27/2/22
Dans une vie, les pertes ne se limitent pas aux deuils…
Il faut bien sûr ajouter les ruptures, les divorces, les abandons. Mais la liste est loin d’être close : l’enfant que vous avez aimé s’est envolé, il est devenu cet adulte sérieux qui ne lui ressemble pas ; le bel amour des commencements n’est plus là, c’est maintenant une alternance plane de tendresses et d’agacements ; le fringant jeune homme que vous fûtes a disparu, vous entrez à petits pas dans la vieillesse ; le pays que vous avez tant aimé n’est plus, tant de transformations l’ont rendu méconnaissable ; la bande d’ami(e)s que vous formiez s’est désagrégée, chacun(e) est parti(e) de son côté…
« Toute vie est bien entendu un processus de démolition » Scott Fitzgerald
La perte de votre vie, la perte suprême, voilà ce que toutes ces pertes successives vous rappellent. Le bouddhisme répète qu’il ne faut pas s’attacher. C’est vrai, mais c’est inhumain.
28/2/22
« Et si l’homme n’était qu’une exception de la vie, qui n’est qu’une exception de la matière, qui n’est qu’une exception du vide ? », répétait-il en se prenant la tête.