Juillet 2021

7/7/21

            Je somnole, c’est agréable, je me laisse porter par des rêves absurdes, chaotiques, insensés qui me conduisent où ils veulent dans leur circuit zigzaguant de pochards.

 

 

9/7/21

            L’une des leçons à tirer du beau livre de souvenirs, « Le monde d’hier » (Stefan Zweig), c’est que croire benoîtement en une marge d’indépendance de l’individuel par rapport au collectif s’avère, dans des situations historiques graves, une illusion.

            Une illusion probablement bourgeoise, parce que l’argent protège des aléas de la vie en général. Mais lorsqu’il y a une crise systémique majeure, ou lorsque certains coins de la planète sont inondés ou prennent feu, la sauvegarde économique individuelle reste illusoire.

 

 

11/7/21

            Tu dois vider le grenier, et tant d’objets-signes de ton enfance s’y sont accumulés ! Une mère aimante garde tout ce qui a appartenu à ses enfants, comme si la disparition de ce qui leur était lié pouvait magiquement contribuer à leur propre disparition… Alors tu contemples tout ce fourbis, et tu t’interroges : se débarrasser des traces du passé, est-ce supprimer son passé ? N’est-ce pas l’expérience de la perte, inéluctable, que tu ne veux pas encore affronter ? Mais ne serait-ce pas un immense soulagement que tu puisses concentrer ton enfance dans une simple histoire, un récit, sans avoir à la transformer en un musée, avec ses vitrines d’objets conservés ? Ce grenier, c’est ton rapport actuel à ton enfance, à ce que tu as beaucoup aimé en elle, mais aussi à ce qui n’a plus tant de valeur. Fais donc le partage, c’est ta responsabilité... Il y a des objets qui recèlent tant de significations !

            Dans le film « Citizen Kane » d’Orson Welles, le magnat de la presse, Charles Foster Kane, meurt en laissant échapper de ses mains une boule à neige et en murmurant « rosebud »… On n’apprend qu’à la fin du film que « Rosebud » est le nom du traîneau sur lequel jouait Kane, le jour où il fut emmené loin de chez lui. Expulsé de son enfance.

 

 

13/7/21

            « La médiocrité est un garde-fou », disait Montesquieu.

            Gouffres du désespoir, montagnes escarpées du génie… Avec la médiocrité, ah non, on ne risque pas d’accidents de la route !

 

 

15/7/21

            Repose en paix… Etc.

            Qu’est-ce que tu veux qu’il fasse d’autre, il est mort ! Il ne peut pas plus reposer dans l’agitation, la guerre, que d’ailleurs reposer, car il se corrompt, se désagrège continuellement !

Cette formule nous parle juste, et a contrario, de la condition moyenne des vivants qui est l’agitation vaine, les tourments et la polémique, « la fronde et les flèches de la fortune outrageante », comme le dit Hamlet dans sa fameuse tirade.

 

 

17/7/21

            Divertissement au sens pascalien : de l’oubli, de l’ivresse, des consolations. Échapper à notre condition commune qui est de ressentir douloureusement la fuite du temps, notre condition mortelle. Surtout fuir notre impuissance ! Mais « savoir demeurer au repos dans une chambre » (dixit Pascal), c’est juste pouvoir éprouver la Présence, infuser dans l’Être.

            Divertissement parce que nous sommes distraits, inattentifs. Et que nous laissons notre attention être toujours sollicitée par l’extérieur, et que nous ne l’exerçons pas.

 

 

19/7/21

            L’astre éteint du narcissisme qu’a investi la pulsion de mort. Figure de l’Ouroboros.

           Narcisse funèbre ne croit plus en rien, il n’a plus d’illusions, il est séparé des autres, il est fin prêt pour la mort… Mais, seul petit problème, il est encore bien vivant ! Il ne va tout de même pas s’asseoir dans la salle d’attente jusqu’à ce que la Camarde vienne le chercher ?

            Il va bien découvrir ce qu’il convient de faire… Il y a un bon narcissisme, et être désabusé, indépendant ne l’empêchera nullement d’agir, de s’occuper de ce qu’il aime. Pas nécessaire d’espérer pour entreprendre, il suffit d’aimer…

 

 

21/7/21

            L’imagination s’envole sur les ailes du désir…

            « Quel esprit ne bat la campagne ?

            Qui ne fait châteaux en Espagne ?

            Pircochole, Pyrrhus, la Laitière, enfin tous,

            Autant les sages que les fous ?

            Chacun songe en veillant, il n’est rien de plus doux :

            Une flatteuse erreur emporte alors nos âmes :

            Tout le bien du monde est à nous,

            Tous les honneurs, toutes les femmes.

            Etc. (La Fontaine – « La Laitière et le Pot au lait »).

           

            Ce dans quoi le rêve brusquement dégonflé retombe ne suffit-il pas à définir ce qu’on appelle « réalité » pour nous ? Mais peut-on vraiment se contenter de ce qu’on a ? Il le faut bien pourtant !... Pour être plus heureux, cultiver la perception, la présence au monde plutôt que l’imagination (sauf si vous en avez un usage moins compensateur que fonctionnel) qui n’arrête pas de vous emporter vers les nuages, alors que, sauf à être devenus fous, par définition vous allez retomber lourdement sur le sol abrupt de la réalité ?

 

 

23/7/21

            On peut prendre quelque distance par rapport à des idées, on peut se couper même d’une émotion, mais il est bien plus difficile de se départir d’un sentiment, d’un état d’âme. On voit bien que le sentiment de tristesse baigne tout notre esprit et agit sur notre corps, par exemple, comme le sentiment amoureux ou alors de solitude. Cherchant à témoigner de quelque chose (à un absent), c’est au final un rapport de soi à soi, plutôt narcissique. Et qui se cultive d’ailleurs : voilà pourquoi le sentiment reste une source puissante d’inspiration qui peut donner à une œuvre son unité. Relions-le à la Stimmung.

            Mais souvent les humains ne le supportent pas et s’en distraient.

 

 

25/7/21

            Elle nous dit : « Au fond je ne tiens à rien. Voilà pourquoi, incapable de m’amarrer, je n’arrête pas de voguer au fil des situations… ».

 

 

 

27/7/21

            Peut-être que le temps fuit, parce qu’on veut qu’il fuie !

            On n’aime pas assez la vie pour s’arrêter sur chaque moment présent, goûter sa consistance singulière. On lui préfère le fantôme séducteur du moment qui suit, même s’il nous conduit plus vite à la mort. Peut-être parce qu’il nous conduit plus vite vers la mort, vers le grand rendez-vous de l’éternité.

 

 

 

29/7/21

            Elle t’a accompagné la plus grande part de ta vie, et maintenant elle n’est plus. Vas-tu aller jusqu’à la mort désormais avec son souvenir ? Mais quel souvenir d’elle vas-tu garder puisqu’elle était devenue l’ombre d’elle-même les dernières années ?

            Dans ces ressacs de la mémoire, je pressens des remords : tu ne t’es pas assez occupé d’elle, tu ne lui as pas dit tout ce que tu devais.

            Les remords, les souvenirs te retiennent dans le passé. Et tu t'y réfugies, simplement parce que le futur contient ta mort…

 

 

 

31/7/21

             Oui, l’œuvre répare celui qui crée…

            Il y a eu tant de pertes, d’abandons, d’éloignements ! Et voilà ce quelque chose qui vient naître, innocent comme un nouveau-né, et combler un peu la béance.

            Si l’on pouvait mettre sous chaque œuvre ce qu’elle est venue réparer : d’une nouvelle d’Edgar Poe à une symphonie de Schubert !...

 

 

 

           

           

           

           

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