2/6/18
Maurice Maeterlinck écrit : "Nous vivons tous dans le sublime. Dans quoi voulez-vous que nous vivions ? Il n'y a pas d'autre lieu de la vie. Ce qui nous manque, ce ne sont pas les occasions de vivre dans le ciel, c'est l'attention et le recueillement; c'est un peu d'ivresse d'âme".
Il écrit aussi ces phrases par réaction contre le réalisme en littérature, contre le naturalisme.
Mais on n'a pas à opposer un réel à un autre, mais bien plutôt percevoir des niveaux de réalité, des hauteurs de perception. Le sublime peut coexister avec le sordide, mais il est vrai que, pour la plupart d'entre nous, le prosaïsme, à quoi l'existence sociale nous lie, nous éloigne plus du sublime qu'elle nous rapproche du sordide. Et cependant, la vie, contemplée du côté du néant si l'on peut dire, reste miraculeuse, évidemment sublime...
4/6/18
On n'entend plus les hirondelles, elles ont presque disparu du ciel...
Les oiseaux, les animaux se taisent de plus en plus dans une nature dévastée par nos soins diligents.
Si nous avons vidé le ciel du divin, et si nous ne pouvons plus nous adresser à lui, n'y croyant plus, que nous reste-t-il comme Autre sinon l'animal ?
En le détruisant, le méprisant, nous humains nous enfermons dans un tête-à-tête narcissique, infernal avec nous-mêmes. Et nous en viendrons à nous haïr par faute d'altérité.
6/6/18
Ah, comme la province connait le silence et la vieille pierre ! Comme doucement l'ennui sait y porter le fardeau du temps !... La vieille pierre s'est endormie sur son histoire. Privé de sollicitations, le promeneur se recueille, et le silence des rues désertes lit au plus profond de lui-même des parchemins indéchiffrables.
8/6/18
Ici, on entend encore siffler les hirondelles, les cloches sonner, le gargouillis d'une rivière au bout d'une rue.
10/6/18
C'est le temps des cerises... Variété de rouges : il y a du carmin, de l'écarlate, du ponceau, du magenta, un peu de vermillon. Âpres, vives, prometteuses et sanglantes, les cerises.
Comme la révolution.
12/6/18
Qu'un des quatre éléments essentiels (l'eau, le feu, la terre, l'air) puisse vous devenir odieux, insupportable... On ne le pensait pas. Et pourtant, avec la dérégulation climatique, la pollution, voilà un peu ce qui est en train de se produire dans la représentation d'un nombre croissant de personnes, victimes de graves perturbations, de catastrophes.
Ne suffit-il pas de quelques jours de pluies torrentielles, d'inondations, de poisseuse et continuelle humidité pour que l'eau un jour vous semble hostile, menaçante ? D'incendies ravageurs de forêts, que rien ou presque ne peut arrêter, pour que le feu ressemble à l'enfer ? De monstrueuses coulées de boue engloutissant maisons, habitants, et la terre redevient tombe avant l'heure ? De graves pollutions atmosphériques et, de l'air soudain irrespirable, suffocant, nous voulons par tous moyens nous protéger ?
14/6/18
C'était les mêmes nuages pommelés dans un ciel bleu que regardait Virgile, il y a presque vingt-et-un siècles.
Comment les voyait-il ? Songeait-il d'abord aux dieux invisibles qui occupent l'ample demeure céleste ? Quelle était pour lui la consistance de ces grosses vapeurs blanches, qui passent là-haut en cortèges interminables ? Peut-être, comme il avait écrit Les Géorgiques, regardait-il les nuages comme un agriculteur les scrute, soucieux des pluies bienvenues au moment des sécheresses...
Il est rassurant de se dire que les mêmes nuages blancs et ronds avançaient dans le ciel, il y a vingt-cinq siècles. Oui, mais dans vingt-cinq siècles, qui peut aujourd'hui être assuré que ce beau paysage céleste sera encore là ? Qui peut vraiment être assuré qu'un poète, qu'un humain simplement contemplera encore, nostalgique, ces beaux nuages qui s'en vont au loin ?
16/6/18
Les passants marchent tranquillement dans la rue, les voitures roulent sur la chaussée. Tout semble tellement normal ! Mais pourquoi cette impression que c'est là juste une boule de verre kitsch, ou une vignette claire et sans ombres dans un album de Tintin ? Pourquoi le sentiment que cette "normalité" n'est pas, ne peut pas être la vérité ?... Les horreurs commises un peu partout dans le monde à l'évidence ne collent pas avec cette rue paisible. Et la peur, le dégoût, le désespoir, la violence qui habitent certains piétons doivent être pris en compte, d'une façon ou d'une autre, dans la représentation de ce paysage urbain.
Reviennent en mémoire certains dessins que signe Georg Grosz, montrant la ville, les passants, les immeubles à Berlin. Tout y est anguleux et rougeoyant comme un enfer. L'artiste avait fait exploser, en l'intégrant dans une effroyable démesure, la feinte normalité des rues berlinoises.
18/6/18
Le promeneur se répète à l'envi qu'il n'est qu'un point de vue, juste un point de vue.
Mais qu'est-ce qui lui permet de se penser comme un point de vue et qui, logiquement, n'est pas un point de vue ?... Il n'y a que des points de vue, et tout point de vue est faux : il faut bien un lieu imaginaire d'où l'on peut parler de sa finitude, une u-topie qui permette de dire cela... Comment, sinon, les humains auraient-ils pu se représenter la totalité, le Tout, l'Être ?
20/6/18
Tu es invité chez des gens, le dîner s'étire et les conversations s'étiolent.
Mais la fenêtre est ouverte sur un ciel couleur de Parme que la nuit ne parvient pas à foncer. Une transparence, une luminosité que rien ne semble pouvoir salir... Tu regardes successivement les croûtes de pain à côté de ton assiette et la voûte d'un ciel où le solstice d'été a mis un éclairage permanent.
Les croûtes de pain filent dans le ciel comme des aérolithes, les paroles se perdent dans l'espace infini.
N'importe quelle conversation, sous un ciel de Parme qui résiste au crépuscule, conserve quelque chose de grave et de mélancolique.
22/6/18
Devant le zinc, les verres de vin se succèdent... Nous parlons de l'ivresse, de l'amour, puis de la mort. Soudain, lui qui connaît tant de citations me sort abruptement cette phrase de Joyce Mansour : "Combien de vin faudrait-il pour emplir un cercueil ?".
24/6/18
Se peut-il qu'on ait envie qu'un spectacle éternellement se répète ?
Par exemple, des hirondelles filant, trissant (c'est son cri) dans un ciel bleu.
Leur escadrille tournant là-haut, pacifique et joyeuse... Ces idéogrammes sonores, qui poussent des petits cris et disparaissent dans l'azur... Les Hirundidinae, annonciatrices du printemps, habitantes de l'été européen, viennent d'Afrique et parcourent jusqu'à 10 000 kilomètres pour nous parler de voyages et de liberté.
Sincèrement, on a envie que ce spectacle, qui enchantait l'enfance, accompagne tous les âges, comme la promesse d'une âme allègre et d'un esprit vivace, pour toujours.
26/6/18
Qu'est-ce que le peintre peut ajouter encore à cette variété de verts étourdissante, songe le promeneur arpentant les allées du parc ? Il ne peut rivaliser avec la nature, sa prodigalité, mais du moins peut-il mettre en valeur, dans et grâce à la surface limitée dont il dispose, cette couleur verte, en la "tirant" entre un bleu et un jaune. Une note rouge fera l'affaire quelque part... Mais le promeneur se dit ensuite que cette "nature" de parc a déjà été pensée, esthétiquement prévue par un paysagiste, et qu'une amorce de palette réfléchie se perçoit déjà dans ce prodigieux foisonnement.
28/6/18
Paysage intérieur de la tristesse : une eau stagnante, un marécage sur lequel penchent des saules blanchâtres, un ciel bas et gris, que plombent des nimbus attendant leur tour de pleurer.
30/6/18
Ce village s'enroule autour de son fier château édifié sur un piton rocheux. Après les toits orangés de tuiles, les étendues vertes de végétation, au loin, l'éclatante tache violette d'un champ de lavande.
Dans l'azur, les hirondelles sont à la fête, car il n'y a ici aucun problème pour nidifier ou attraper des insectes. Leurs cris joyeux emplit le coeur d'une inconséquente gaminerie.
Il y a une association dans le village, « Vieille roses, vieilles pierres », qui s’occupe de faire pousser des variétés anciennes de ces fleurs dans les anfractuosités des murs vénérables. Quelques roses du XVIème siècle, et le doux balancement des roses trémières pour adoucir l'accueil des visiteurs, montant par les chemins brûlants et escarpés vers la forteresse du XIIIème siècle.