1/6/21
Cette femme t’a tiré vers le bas. C’est au moment, note-le, où tu as commencé, par fatigue et désillusion, à renoncer à tes idéaux que tu t’es laissé aller à cette relation… Maintenant regarde les choses en face : elle t’a petit à petit enfermé dans son monde prosaïque, médiocre et sans grand intérêt ! Tu as pu te leurrer un moment sur tel ou tel aspect de sa personnalité, mais le bilan global reste qu’elle t’a platement banalisé.
Cet homme, ma chère, t’a tiré vers le bas. Raconte ce que tu veux, mais ce charme conventionnel de tombeur à l’italienne, ça pèse quoi vraiment par rapport à ta belle sensibilité d’artiste, ton intelligence ? Mais voilà, d’abord il t’excitait, et ensuite tu voulais une revanche et une reconnaissance parce qu’adolescente tu passais pour la bonne élève grise ! En fait tu t’ennuies dans ton « grand amour ». Tu t’ennuies sans même t’en apercevoir, c’est un comble.
Il y a celles et ceux qui évoluent sur une courbe descendante et, ne vous en faites pas, elles et ils trouveront toujours chaussures à leurs pieds pour les accompagner.
L’inverse est, dirait-on, plus difficile.
3/6/21
Sur l’hégémonie planétaire du capitalisme : quand un système n’a plus d’antagoniste, de rival, il ne se perfectionne plus, il n’en a pas besoin ; et plus rien ne le remet en question, le fait douter… Il devient arrogant, certain de lui-même. Et ce jusqu’à la folie car, comme le disait Nietzsche, « ce n’est pas le doute, c’est la certitude qui rend fou ».
5/6/21
À quoi tient le pouvoir des mots ?
Déjà savez-vous qu’il y a eu, qu’il y avait une « fonction magique » du langage ? Le nom secret de Rome était… Valentia. Il fallait donc cacher ce nom porteur de force, qui était en même temps celui de la divinité tutélaire. Et puis il y avait toutes ces formules secrètes et cabalistiques qui devaient agir sur le réel… Abracadabra !
Mais en-dehors de cet aspect irrationnel, on pense à cette fonction poétique du mot - quand on le dit - comme signifiant, enveloppe sonore. Dans la poésie, les mots mis bout à bout peuvent produire une musique, un rythme qui nous charment secrètement alors que nous faisons d’abord attention à leur signifié, à leur sens. « Les sanglots longs/des violons/de l’automne/blessent mon cœur/d’une langueur/monotone ».
Et puis les mots nous ensorcèlent et/ou nous libèrent. Ils sont chargés de conotations, de rêves… Et voilà comment les discours d’hommes politiques démagogues ou d’habiles tribuns agissent sur les foules. Mais ils nous libèrent, en ce qu’une situation vécue qui n’est pas nommée nous aliène, alors que le pouvoir des mots qui disent juste ce qui est nous libère.
Le pouvoir des mots tient à ce que le langage nous traverse et s’impose dans notre rapport aux autres, au monde et à nous-mêmes.
7/6/21
- Le monde ne serait pas visible sans l’art.
- Tout dépend de ce que tu entends par « visible » !
- On peut ne voir que ce qu’on voit, ou « voir » autre chose…
- Alors c’est « visible » pour un visionnaire. Ou… un halluciné ?
- Quelle est cette part d’imagination matée, refoulée dans l’acte habituel de voir, et que justement l’art libère, c’est la véritable question… C’est l’art qui, par la métaphore ou l’analogie par exemple, donne toute sa richesse à la visibilité.
- Un fou, piégé par son imaginaire, voit autre chose que ce qu’il voit, mais est-il pour autant un artiste ?
- Mais lui n’a pas le choix, il est piégé, il ne peut pas jouer. Est-ce alors un artiste ?
9/6/21
Narcissisme noir : à côté de la version positive de Narcisse, opposé à la figure de Prométhée, que donne Marcuse dans Éros et civilisation, il existe un autre aspect, sombre, prostré, rejetant, désespéré de Narcisse et du narcissisme. Égocentrique et replié sur lui-même, le Narcisse noir se ressent comme blasé, revenu de tout, seul intact dans un monde impur et décevant. Il n'aime plus rien ni personne, sauf ceux qui veulent bien jouer le rôle de miroir pour son impériale personne. Qu'est-ce donc qui lui reste ? À sublimer cette posture, comme le sut le faire un Max Stirner dans L'Unique et sa propriété ou bien à l'utiliser comme vecteur de critique contre le monde ambiant, pour justifier sa misanthropie.
11/6/21
Historiette = Ce jeune blouson doré, dépassé par tout cet argent que ses riches parents mettent à sa disposition, habitué à tout avoir, déjà blasé si jeune, ennuyé…
Et voilà qu’arrive un jour un parasite qui n’a pas le sou, une sorte de Neveu de Rameau, à la fois érudit et affamé… Alors, pour le blouson doré, c’est là une occasion d’épater sans limites quelqu’un, et d’ainsi redonner brillance et désirabilité à ce dont peu à peu il se lassait. Et pour le parasite, c’était enfin accéder au luxe, aux agapes, en ayant juste à pratiquer une flatterie mensongère, et a exprimer son émerveillement. Authentique, lui…
13/6/21
L’opposition démocratie/totalitarisme (Arendt) ne pouvait pas tenir en compte des formes modernes, très efficaces, d’oppression. Par exemple la société de consommation (cf. Baudrillard) qui tient les gens par le plaisir addictif : des sauces barbecue aux séries télévisées, des modes aux videogames, tout a été conçu pour qu’ils deviennent dépendants. Et, de la publicité subliminale aux études poussées de marketing, il n’y a pas un seul public qui n’ait été ciblé, analysé pour qu’il cède à ses tentations en tous genres.
Cette régression collective à la sphère orale empêche l’accès à l’exercice responsable et critique de sa liberté de citoyen. On peut en outre mixer la société de consommation (à l’américaine) à une société de surveillance généralisée, comme c’est le cas en Chine, et l’on obtient un totalitarisme doux qui fait se rejoindre Le meilleur des mondes d’Aldous Huxley et 1984 de George Orwell. Plus besoin d’adhérer au même « idéal » (fasciste ou communiste), plus besoin d’exercer la terreur : le sucre et la caméra ont remplacé le fouet. La bête est domptée… Mais que vont faire de leur triomphe les classes dirigeantes ?
On ne peut pas mettre fin à l’Histoire, monsieur Francis Fukuyama.
15/6/21
« L’homme est bon, mais le veau est meilleur », écrivait Bertold Brecht.
Vous dégagerez les niveaux de sens de ce mot d’esprit en choisissant ce que vous allez ensuite développer : critique ironique du rousseauisme ? Allusion à l’anthropophagie du système, qui dévore ses victimes ? Secrète espérance d’un monde doux, comme un veau ?
17/6/21
Pour guérir lamentations et jérémiades, il imagine un réponse curative hétérodoxe et glaciale, comme tous ces traitements par le froid contre diverses inflammations :
« De toutes façons, tout le monde se fiche éperdûment de votre malheur ! Il y a environ huit millards d’habitants sur la planète, et les états d’âme d’un grain de sable pèsent encore moins que cet insignifiant grain de sable : vous, moi, chacun de nous ! Que vous soyez triste ou désespéré, de toutes façons vous allez mourir, et votre malheur aura juste gâché, sans la moindre conséquence, le peu de temps que vous allez passer sur terre. Il n’y a pas plus de maman qui accourt, sachez-le, que de bon dieu qui tend l’oreille. Et votre malheur est déjà perdu dans le silencieux néant des espaces infinis. Alors à vous de voir… ».
19/6/21
L’artiste (peintre, cinéaste) obligé, tenu par l’apparence. Toute son affaire consiste à transformer cette limite, cette contrainte en une chance, et que les gens puissent dire à la fin : il n’y a que des apparences ! Vive les apparences, elles sont les meilleures alliées de la vie !
21/6/21
Une civilisation ne s’écroule pas d’un seul coup comme un immeuble s’effondre. Mais des pans entiers s’effritent, et sur ces décombres poussent des constructions différentes. Cela ne se fait pas sans qu’il y ait de nombreux perdants, mais aussi des gagnants. Peu à peu, en dépit des efforts de conservateurs en tous genres, ce qui faisait l’identité de cette civilisation est altéré. À quel moment une civilisation nouvelle s’impose, qui peut le dire ? Ce que beaucoup ressentent, c’est une forme d’insécurité diffuse, voire un morcellement de la personnalité. La religion est le refuge des uns, la réaction autoritaire celui des autres, mais c’est en vain, l’entropie continue, et la civilisation que l’on avait connue… eh bien elle n’est plus !
23/6/21
« Le grotesque des évènements de tous les jours vous cache le vrai malheur des passions », écrit magnifiquement Barnave. C’est si vrai que le bon romancier ne fait jamais l’impasse sur ces petits évènements dérisoires qui ne cessent pas - alors même que le héros subit les tourments de la jalousie ou de l’abandon ou de la persécution - de lui tomber dessus.
En revanche, dans les tragédies, le dramaturge ne peut pas se permettre de laisser affleurer ce quotidien, à maints égards ridicule.
25/6/21
Mourir satisfait.
Comment est-ce possible ? Toute existence n’est-elle pas, peu ou prou, un échec ? Les regrets, les remords, l’évocation de tous les ratages viendraient, au seuil de la mort, tarauder quiconque d’encore lucide. Et pourtant… La personne qui pourrait dire : « Finalement j’ai fait globalement ce que j’ai aimé, et je n’ai pas été culpabilisé par ce choix, et il ne s’est pas avéré au final trop pénible et coûteux », cette personne pourrait mourir satisfaite.
27/6/21
Le badaud… Il est vacant, et erre comme un taxi libre. Il flâne le nez au vent, et le moindre spectacle de la rue pique sa curiosité. Il s’étonne facilement… L’étymologie du mot « badaud » : « celui qui reste bouche bée ».
Bien, donnez-lui maintenant un appareil de photo, et les linéaments d’une culture photographique, et vous en ferez peut-être un artiste !
29/6/21
Il me dit : « Dans l’attention, il y a soin, présence, conscience, volonté, amour de la vie… Il y a tout ça ! En fait, l’attention est la faculté-reine, parce qu’elle soutient toutes les autres. » Je demande : « Peut-il y avoir une « attention flottante » ? Ou l’attention est-elle obligatoirement une exclusion ? ». Il répond : « Oui, une attention flottante est possible. On attend quelque chose mais on ne sait pas quoi. On guette du sens, en réalité, dans le flux de l’insignifiance ou du déjà connu. Le psychanalyste… Le méditant… Ou une sentinelle ».