1/6/23
Le problème est moins qu'on n'ait pas pu répondre à la question "que faisons-nous sur terre ?" qu'on ne se soit jamais donné, pour le plus grand nombre, l'occasion de se la poser.
2/6/23
Il se sentait particulièrement seul en certaines compagnies et, alors qu'il était objectivement seul, son auteur préféré à la main, en excellente compagnie...
3/6/23
Si tu veux être plus libre, joue ton personnage ! Voilà qui t'obligera d'abord à le reconnaître, et ensuite cela t'incitera à prendre quelque distance humoristique avec lui.
4/6/23
Mon ami, fais attention !... Es-tu certain d'être plus intéressant que tout ce que ta compagne trouve désormais avec son portable (informations, réseaux sociaux, etc) sur internet ?
5/6/23
Les moments de bonheur habituel passent vite, ceux de malheur stagnent... Faut-il donc être malheureux hélas pour sentir le temps ? Non, la contention d'esprit recèle une joie profonde qui ralentit le flux temporel.
6/6/23
Il me répétait qu'il n'y a pas d'autres raisons d'être malheureux que celle de désirs méconnus et non réalisés. De prisons dans lesquelles on s'était enfermé une fois pour se protéger, et dont on est infichu de sortir...
Cela me paraissait trop simple. Mais au moins cette piste n'égarait pas.
7/6/23
On ne peut pas penser la totalité sans en être extérieur. Mais alors où est-on ?
Autre question : on ne peut pas poser sa vie en totalité sans se situer hors de sa vie. Mais où est-on ?
Dans "Ô les beaux jours !", on dirait que Beckett parle de la vie comme s'il était mort, du point de vue de la mort...
8/6/23
Pourquoi à l'effort consenti la joie est-elle associée ? Parce qu'il y a un éveil, une attention soutenue et la puissance d'être se fait alors sentir. Donc la joie.
9/6/23
Un système fonctionnant par le principe de profit et de concurrence ne peut pas intégrer les valeurs de sobriété et de solidarité, pourtant devenues nécessaires. Il est donc condamné à produire toujours plus de catastrophes.
Jusqu'à sa (ou notre ?) disparition.
10/6/23
Avec l'empathie à l'égard de la souffrance d'autrui qui la caractérise, elle me décrivait ainsi dans une lettre le vieillissement de sa mère : "Une catastrophe, à la fois étalée dans le temps et saccadée : c'est ainsi que maman éprouve son vieillissement... Elle assiste, dans l'anxiété et parfois la panique, à de brusques effondrements de son assise existentielle. Et des émotions, des sentiments qu'elle connaissait peu, ou alors leur rapide conjonction la submergent. La rage, la détresse, la confusion la renversent ou la bousculent. Elle se sent démunie face à ces monstres intérieurs. Ces convulsions soudaines se produisent sur un fond de pertes qu'elle rumine, et de désolation... Altération de son apparence physique (c'était une belle femme), perte de sa féminité, déclin de toutes ses fonctions... Je dois la rassurer, la consoler avec les mots justes qui ne lui dissimulent pas que la vieillesse reste une épreuve pour tout le monde. Et que, passé un certain seuil, cette épreuve devient si lourde qu'on se demande si elle n'était pas prévue pour nous rendre supportable, et même désirable, la mort".
11/6/23
L'absurdité de la vie : pas de sens ni de finalité a priori.
C'est donc une page blanche sur laquelle peuvent toujours s'écrire les grands récits collectifs et les petits scénarios individuels... Mais c'est aussi une page qui redevient toujours blanche ! Désespérément.
"Sur le vide papier que la blancheur défend" Mallarmé
12/6/23
Ce qui fait craquer un narcissique, c'est un être encore plus narcissique que lui
Très forte ambivalence alors à l'égard de cet être impénétrable...
13/6/23
Il m'a dit que ce n'était pas tellement parce que les autres l'avaient déçu qu'il était devenu misanthrope (il les trouvait globalement conviviaux, aimables), mais parce qu'à la suite d'introspections répétées il s'était déçu de lui-même... Alors, par analogie, il ne se faisait plus d'illusions sur les autres.
14/6/23
Vous êtes arrivé à un âge de la vie où vous vous demandez ce qui gzrde de l'importance pour vous. Et, avec une certaine inquiétude, vous vous apercevez que rien n'en a vraiment. Votre travail, vos relations, vos centres d'intérêt se tiennent, avec des variations temporaires, à peu près au même niveau.
Vous vous laissez guider par ici ou par là sur un sol plane et qui vous donne l'impression, plutôt agréable, de glisser.
Il vous arrive d'avoir recours à l'actualité nationale ou mondiale et de chercher quelque chose d'objetivement important pour tout le monde. Mais la logique médiatique fait en sorte de ne pas lasser avec le même thème. On passe d'un sujet important à un autre et, par ces permanentes variations, tout finit par le devenir. Ou alors rien.
Ce qui vous frappe, c'est qu'autour de vous non plus les gens ne semblent pas accorder véritablement d'importance à quoi que ce soit (peut-être au fond avez-vous fini par vous adapter aux autres ?).
Au final le seul événement qui s'impose comme indiscutablement important reste la mort. Mais on n'en parle jamais.
16/6/23
L'individu et la foule.
Rapport d'opposition : l'individu contre la foule. Seul, singulier au milieu des autres, ressentis comme indifférenciés.
Rapport cordial : les gens, plutôt que la foule, sont vécus comme des individualités qui se prêtent momentanément à un rassemblement.
Rapport fusionnel : l'individu se fond, disparaît dans l'ego collectif de la foule, éprouvée comme masse et puissance.
18/6/23
Il me dit : "C'est affreux : quand on est parvrenu à un certain niveau de lucidité, impossible de revenir en arrière pour se réillusionner !".
Je lui réponds : "Oui... Mais il convient dès lors de remplacer l'idéalisation de la réalité par la saisie de sa complexité. Et c'est une autre forme de merveilleux".
20/6/23
Pourquoi faudrait-il imaginer Sysyphe heureux comme l'affirme Camus, alors qu'il est condamné à hisser continuellement un rocher au sommet d'une montagne d'où il retombe toujours ?
S'il est plein de sa tâche et convaincu de sa mission, s'il ne prend aucun recul par rapport à elles, s'il ne songe pas qu'elles sont absurdes et ne mènent à rien, pourquoi serait-il malheureux ?
Et nous ? Tous ces gestes du quotidien qui se répètent, tous ces propos inconséquents, toutes ces actions que la mort va annuler ! Mais nous n'y pensons pas et, vaillamment, nous nous livrons à nos tâches qui font sens dans l'horizon immédiat.
21/6/23
On est d'autant plus enclin à prendre ses désirs pour la réalité que celle-ci nous frustre et nous offense.
Alors "il faut changer ses désirs plutôt que l'ordre du monde", comme le conseille Descartes ?
Ce n'est pas juste. Voir le réel tel qu'il est, nos désirs tels qu'ils sont. Constater leur opposition. Vivre avec... Et de cette opposition, il finira par naître quelque chose.
22/6/23
Il me dit : "Rien qu'en Amérique du nord et du sud, le merveilleux Occident a occis des millions d'Indiens... Quand elle ne les anéantit pas, notre civilisation "assiste" soi-disant les cultures traditionnelles, c'est-à-dire en fait qu'elle clochardise ses membres et les "déculture"... Elle exproprie ces peuples de leur territoire, donc leur vole leur milieu et leur intelligence par rapport à ce milieu. Ils ne sont plus rien.
Au nom de quoi ? Notre "supériorité" nous a conduit à ravager la planète, à détruire ses ressources et à nous menacer nous-mêmes d'extinction !"
24/6/23
Réfléchissez-y : pas de reconnaissance des autres obtenue pour leurs actions ni pour leurs créations ni pour leur apparence physique. Il ne leur reste plus qu'une reconnaissance des autres pour leur avoir...
Leur avoir doit donc être visible et onéreux. Les marques prestigieuses (voiture, vêtement, etc.) ou des espèces rares de chiens qu'ils exhibent remplissent par exemple cette fonction ostentatoire en vue d'une reconnaissance.
26/6/23
Je lui confie : "Elle, c'est une carne avec un fichu caractère et lui un rapiat, un Harpagon..."
Il me répond : "Tu verras, ils vivront longtemps !"
28/6/23
L'hyperspécialisation professionnelle croissante élève des murailles entre les individus dans une même société... Produire des "lieux communs" est l'une des fonctions des médias et de la culture ou des sports de masse. Mais ces lieux communs s'épuisent vite !
Il est dommage que, par pudeur, l'intersubjectivité au moyen d'une intériorité exprimée, échangée, ne soit pas tentée.
30/6/23
Il affronta l'écrasante figure du Père, le monstre tentaculaire de la bureaucratie anonyme, les pires cauchemars de l'humanité. Sans jamais perdre son sens de l'humour...
Franz Kafka fut un héros, bien sûr très seul. Et l'héroïsme est une valeur littéraire inhabituelle.