1/5/23
La grande chance du Prince, c’est que le peuple est oublieux. Mais gare à son pouvoir, si le peuple, offensé, s’est mis en tête de ne pas oublier.
2/5/23
Quand ils ne sont pas indifférents à la politique, les artistes sont le plus souvent anarchistes (la revendication de la liberté, l’indépendance d’esprit). Ce qui est troublant, c’est quand ils sont conservateurs, voire réactionnaires (l’élitisme, la tour d’ivoire) ou même fascistes (une secrète faiblesse s’attachant à un parti « fort »).
3/5/23
“De toutes les distributions, l’une des plus inégales et, sans doute, en tout cas, la plus cruelle, est la répartition du capital symbolique, c’est-à-dire de l’importance sociale et des raisons de vivre”, nous dit Bourdieu. Une phrase sociologique pour tous les obscurs, les opprimés, les exclus. Ceux que le système fait en sorte de rendre invisibles.
4/5/23
Il me disait : « Dans le monde ce qui prédomine, c’est l’indifférence… L’indifférence complète du réel et l’indifférence quasi complète des autres (à l’exception d’un cercle étroit) à notre égard. Tout cela parce qu’en fait le ciel est vide, que le dieu personnel est absent.
Tu es malade, malheureux, tu vas crever, ou que sais-je encore, tu es heureux, content de toi, mais le monde s’en moque, la réalité s’en fout. Tu le sens confusément, alors tu t’agites suffisamment pour produire ta microsphère, ta bulle irisée où les gens, les choses, les événements ont un sens… Et ton voisin fait exactement la même chose. L’homme absurde est celui que la raison lucide a empêché de vivre complètement dans sa bulle ».
5/5/23
C’est lorsqu’il y a une contradiction ou une obstacle que la réflexion commence. Mais c’est juste à ce moment-là que beaucoup s’arrêtent de penser.
6/5/23
Elle ouvre les yeux sur son angoisse, elle a envie immédiatement de se rendormir. Mais c’est trop tard. Il y a quelque chose d’affreux et d’innommable… Rien pourtant dans la journée qui s’annonce ! Mais elle se dit qu’un postier universel s’est trompé de destinataire. Il lui a déposé dans la nuit une lettre qui ne lui était pas destinée, et dans laquelle il était question, pour la journée qui vient, de rafles, de sévices, de déportations, d’anéantissement.
Elle se demande si elle ne porte pas en elle l’angoisse de toutes les mères emportées dans les horreurs de la guerre. Elle a d’abord envie de rendre la lettre à la destinataire appropriée, puis un sentiment qui s’appelle compassion la retient. Elle a transformé son angoisse en un sentiment de pitié qui l’incite à partager les maux de ses sœurs humaines.
7/5/23
Le poids que prend la vie pour les personnes âgées et l’amour croissant du sommeil chez elles constituent des transitions naturelles pour faciliter l’acceptation de la mort.
8/5/23
La consommation, c’est ce qui vidange l’esprit en feignant de l’emplir. Critique nécessaire de la société de consommation.
9/5/23
Il y a ceux qui travaillent et ne sont pas payés (les bénévoles).
Ceux qui travaillent et sont mal payés.
Ceux qui travaillent et sont bien payés.
Ceux qui ne travaillent pas et sont payés (les retraités)
Enfin ceux qui ne travaillent pas et sont très bien payés (les gros actionnaires).
On voit bien le choix qu’a fait notre système en privilégiant les rentiers.
10/5/23
On peut commencer à se sentir critique lorsqu’on est capable de dissocier son goût personnel de l’évaluation d’une œuvre et, par exemple, ne pas aimer une proposition artistique tout en reconnaissant son intérêt, sa pertinence.
11/5/23
Elle a des brisures, des fêlures, des blessures de toutes parts.
Seulement voilà, tout le soin, toute la minutie, toute la délicatesse qu’elle consacre à ses créations merveilleuses jouent comme une réparation à l’égard de quelque chose d’extérieur. Le filigrane de son œuvre est une mosaïque de pansements.
Mais cette réparation-là est aussi une forme d’auto-réparation.
13/5/23
C’était un curieux mélange de fou, de joueur et de penseur, mais aussi d’artisan illuminé, tout ça à la fois… Bref, c’était un artiste.
15/5/23
Les désirs inextinguibles, recherche-les dans ton enfance.
Mais si rien ne te motivait vraiment alors, les désirs de ta vie adulte resteront variables, incertains, séquentiels, intermittents.
17/5/23
Par héroïsme, humour, vrai geste artistique, tenter d’aller au-delà de l’amertume...
18/5/23
Sur l’incroyance jusqu’au nihilisme : on ne croit plus, on n’imagine même plus ce que pouvait faire, représenter la Foi, au temps où elle était reine.
Aujourd’hui, on s’informe, on analyse, on s’explique tout, mais l’on ne voit plus rien d’extraordinaire à quoi que ce soit.
Alors le sensationnel sous toutes ses formes (du sexe à la violence en passant par la prouesse), débité sans cesse, vient servir de cocaïne aux âmes blasées du petit nihilisme.
19/5/23
Quand elle entendait aux informations des nouvelles sur les tragédies de l’immigration, les catastrophes, les guerres, elle les traduisait en situations concrètes et personnelles. Elle imaginait, jusqu’à parfois les ressentir, l’affreuse détresse, le terrible malheur dans lesquels étaient englouties ces victimes. Alors elle nous confiait qu’être bienheureuse dans ce contexte-là ressemblait à une cécité et à une froideur qui lui paraissaient étroites, mesquines et immorales. Et je pensais à ce personnage d’Anouilh dans « La Sauvage » qui s’exclame : « J’aurai beau tricher et fermer les yeux de toutes mes forces… Il y aura toujours un chien perdu quelque part qui m’empêchera d’être heureuse… ».
20/5/23
Ma satisfaction contribue à diminuer ton malheur (le soin, l’éducation).
Ma satisfaction est totalement indépendante de ton malheur.
Ma satisfaction participe indirectement à ton malheur (exemple : « C’est de l’enfer des pauvres qu’est fait le paradis des riches » Victor Hugo)
Ma satisfaction produit ton malheur (le bourreau, le sadique).
21/5/23
Avec la vivacité débordante de gouaille qui témoigne de sa bonne santé mentale, il me dit : « Que de fois, je m’arrête sur celle-ci ou celle-là en songeant que c’est la femme idéale, que sa beauté illuminerait mon quotidien, et qu’avec cette inspiratrice j’exprimerais le meilleur de moi-même… Et puis une voix ricanante en moi s’exclame : si ça se trouve, c’est une coquette hystérique, une emmerdeuse de première catégorie, une créature infatuée de sa personne exigeant bien plus que je peux donner ! L’amour idéal fait partie des quelques grandes rêveries auxquelles se complait notre imagination, avec des soi-disantes preuves tirées d’exemples rarissimes et d’ailleurs sujets à caution… Ce n’est pas que la vie doive rester grise, mais que le Bon Objet clé en main n’existe pas. Alors, après ce fondamental renoncement, à nous de réenchanter notre vie par petites touches et choses très simples… »
22/5/23
Ce qu’ils voulaient, c’était passer de bons moments ensemble. Les plaisirs de la sociabilité… Ils ne souhaitaient pas vraiment autre chose qu’échanger des propos dans l’espace commun (quitte à échanger des lieux communs), bref communiquer.
Mais communiquer n’est pas du tout se connaître. Il aurait fallu pour cela être curieux de l’intériorité de l’autre, de ses espérances et ses appréhensions, de ses drames intimes. Il aurait fallu poser des questions, et être parfois intrusif. Mais cela ne les intéressait pas.
Leur communication passait parfois par la confrontation, le besoin de reconnaissance, mais le plus souvent par une sympathie joviale, superficielle. Et si quelqu’un d’extérieur leur posait des questions sur la personnalité de l’une ou de l’autre du groupe, ils ne savaient pas trop quoi dire, et se rendaient compte avec un léger malaise qu’après des bien années à communiquer, ils se connaissaient à peine.
23/5/23
Il n’y a évidemment pas de progrès absolu en art, mais une avancée plus ou moins grande ou une interrogation nouvelle sur telle ou telle voie esthétique, formelle, que l’époque a rendue plus ou moins désirable ou nécessaire.
24/5/23
Ce qui fascine dans l’Art brut, c’est que le génie de ses créateurs aurait, si l’on en croit leur biographie, exclu tout apprentissage. La « pulsion » créatrice s’y exprime avec puissance et impétuosité au mépris des règles et conventions minimum de l’art. Il en résulte qu’on est à la fois admiratif devant la productivité de ces marginaux et dégoûté parfois de ce qui s’exprime dans ces forces créatrices sauvages.
Mais, dans tout artiste génial, bien au-delà de leur apprentissage, souvent rigoureux, la même pulsion créatrice débordante irrigue leurs œuvres.
25/5/23
Je respecte les œuvres d’art parce que j’y sens la créativité infinie des humains.
Je respecte les œuvres d’art parce que les grands mythes de notre humanité y sont concentrés.
Je respecte les œuvres d’art parce qu’on nous a appris à les respecter.
Je ne respecte pas les œuvres d’art parce qu’on ne m’a rien appris à leur propos.
Je ne respecte pas les œuvres d’art parce que je voudrais une fois pour toutes me débarrasser du poids de mon humanité et de son histoire.
26/5/23
L’art, qui ne sert à rien ni personne, sert désormais à enrichir les spéculateurs. Voilà à quoi, dans sa vulgarité foncière, est parvenu le capitalisme.
27/5/23
On peut concevoir une société sans art. Les totalitarismes (le stalinisme, le nazisme…) s’y sont employés. Le sport, le travail et le matraquage idéologique ont pu suffire aux masses. Quant à cet autre totalitarisme, de type théocratique, il a récupéré ce qui reste d’esthétique dans la religion qu’ils ont mise au centre de la vie sociale. Et les masses s’en sont également contentées… Moralité : l’art a moins de garantie de survie que la servitude.
28/5/23
Par le divertissement je m’échappe à moi-même.
Par la méditation je me retrouve.
Par la méditation et l’art je me retrouve mais amplifié en humain.
29/5/23
Si exhaustive que soit l’« explication » d’une œuvre d’art, de ce qui fait le ravissement qu’elle procure, elle ne vaut rien par rapport à l’œuvre elle-même. En effet l’explication est linéaire, démonstrative, alors que l’œuvre est synthétique et suggère seulement.
Le critique d’art serait un balourd éperdu qui s’essouffle derrière une gazelle.
30/5/23
Pour faire un artiste il faut au moins qu’il aime son matériau (la langue, la couleur, les sons, etc.), qu’il n’aime pas le monde tel qu’il est, qu’il se projette dans un monde autre.
31/5/23
Il m’a dit : « Si elle savait à quel point je la déteste derrière mon amour !... Mais aussi à quel point je l’aime, au fond, derrière ma détestation ! Malheureusement, je crois qu’elle s’arrêterait au premier niveau et m’en voudrait terriblement. Alors je me tais, et elle ne sait rien ».