Mars 2023

1/3/23

            Tapageuse est la vulgarité.

            Hélas, elle participe notablement à tout le bruit de la vie.

 

2/3/23

            Des leçons de l’Histoire, des catastrophes passées et de leurs origines, l’humanité apprend peu et difficilement. Elle refait les mêmes erreurs, elle tombe dans les mêmes fautes… C’est qu’apprendre vraiment implique de se dessaisir de soi et prendre des distances par rapport à ses passions. Or, il semble que l’humain campe avec orgueil dans ses passions.

 

3/3/23

            Stupidité profonde du tourisme de masse. D’abord la grégarité : attirés par les guides aux mêmes endroits et aux mêmes moments, les touristes ne finissent par rencontrer qu’eux-mêmes. Ensuite, le besoin de rapporter quelque chose : les touristes passent leur temps à faire des photos, du shopping, alors qu’il s’agirait plutôt de s’évader, de (se) perdre ses habitudes. Enfin, la restriction de leur voyage aux lieux « touristiques », comme s’il n’y avait pas tout autour une société, une culture, une actualité.

 

4/3/23

            Elle ne s’aimait pas assez. Ce qu’elle avait découvert, par effractions soudaines dans son intériorité, lui déplaisait ou la terrifiait. Alors, elle se ruait dans le divertissement de la socialisation…

            Il avait l’impression qu’elle était une partie de lui-même qu’il adorait, mais n’arrivait pas à atteindre (sa personnalité en mieux). Alors cette femme, il l’admirait, ne la quittait pas.

            Comme l’écrit Nietzsche ironiquement, « l’un va chez son prochain parce qu’il se cherche, l’autre parce qu’il voudrait s’oublier. Votre mauvais amour de vous-même fait de votre solitude une prison ».

 

5/3/23

            Vous fûtes toujours fasciné par ces vies unifiées, tendues par une vocation précoce, une passion exclusive et porteuse, des vies droites jusqu’à la mort.

            En même temps, vous m’avez toujours répété que nous n’avons qu’une vie, une seule vie pour connaître le plus de choses sur le monde, l’univers, et toute notre humanité. Et ce avant de disparaître… Et là ce n’est plus le modèle d’une droite, mais celui d’une sphère.

            Je vous ai toujours connu dans cette hésitation. Elle est votre identité.

 

6/3/23

            Votre hésitation… C’est que beaucoup de choses se présentent à vous. Vous savez d’autant moins laquelle choisir que vos critères d’appréciation également se présentent à vous en nombre. Et donc vous ne savez pas, vous flottez. C’est parfois un sentiment merveilleux d’hésiter ! Mais aussi, il peut se diluer dans l’indifférence.

 

7/3/23

            Un matin, Tchouang-Tseu s’éveilla en se demandant s’il avait rêvé cette nuit qu’il était un papillon ou si un papillon rêvait maintenant qu’il était Tchouang-Tseu.

            Quelque part, Freud se demande si sa théorie rend bien compte de la paranoïa ou si une bonne part de sa théorie est le fait de la paranoïa.

            Ces moments où toute la pensée se retourne comme un gant plongent dans un doute abyssal. On en réémerge en aspirant vivement l’air et avec une nouvelle jeunesse.

 

8/3/23

            Quand on apprécie un art de l’extérieur, même avec une grande sensibilité esthétique, on se trompe en général sur les difficultés propres à la réalisation d’une œuvre. Ce qu’on croit être difficile ne constitue pas en fait les véritables problèmes de l’artiste, mais demande juste attention et patience. En revanche, certaines difficultés énormes qui tourmentent le créateur, voire le désespèrent, nous restent complètement étrangères.

            Et voilà pourquoi il est intéressant d’écouter de la musique avec un compositeur, voir de la peinture avec un peintre, aller au théâtre avec un dramaturge, etc.

 

9/3/23

            Parmi ceux qui ne supportent pas les œuvres noires, sombres, pessimistes, il y en a dont le rejet se nourrit de cette sensation désagréable que l’auteur a simplement voulu se débarrasser de ses déchets mentaux dans un sac-poubelle devant leur porte.

 

10/3/23

            Dans la création artistique, intellectuelle inspirée, nous sommes transportés par un élan et tenus par l’attention. Aussi sommes-nous parfaitement heureux.

            « Ce qui vaut la peine d’être fait vaut la peine d’être bien fait », telle était la devise du peintre Nicolas Poussin. Ce qui vaut la peine d’être fait est aussi ce qui nous inspire.

 

11/3/23

            C’est une course de vitesse dans tout apprentissage artistique : si, au bout d’un temps assez limité, vous n’arrivez pas à acquérir suffisamment de maîtrise dans l’exercice de votre art pour qu’il commence à être jouissif, alors vous abandonnerez l’apprentissage (piano, dessin, écriture, etc.).

 

12/3/23

            Appréciations opposées d’une œuvre. Il s’enthousiasme, mais elle reste critique, réticente, ironique… Ils sont amants et partageaient tout dans un amour commun. Ne pas négliger cette discordance. C’est peut-être le premier pavé dans le Jardin !

 

13/3/23

            Le psychothérapeute, ironique sur la maintenance des liens dans le couple : après m’avoir affirmé plusieurs fois qu’elle était liée à l’imbrication de deux névroses, il m’assène qu’à sa connaissance, beaucoup d’individus préfèrent encore la familiarité d’une relation médiocre à l’anxiété que génère un grand amour… Appréciation biaisée des thérapeutes ?

 

14/3/23

            La vie, qui est une organisation complexe de la matière, dont les fonctions de base sont l’assimilation, l’autoreproduction et l’autorégulation, et qui s’accompagne de la mort, reste mystérieuse. C’est un phénomène rare, accidentel, qui semble n’obéir à aucun autre dessein que se perpétuer sans but ni raison. Parmi tous les vivants, le seul qui ait besoin de donner un sens à la vie, à notre vie, à sa vie, est bien sûr l’humain.

            À moins d’être religieux (et encore…), il mourra sans avoir eu de réponse fiable à sa question sur le sens de la vie.

 

15/3/23

            Comment ne pas éprouver un sentiment tragique de la vie quand la perte, la finitude, la destruction jalonnent le parcours humain ?

            En se racontant des histoires… Collectives (les mythes, puis les « grands récits » idéologiques), individuelles (les « mensonges vitaux » dont parlait Ibsen).

            Mais, si l’on ne peut pas se raconter d’histoires, comment vivre sereinement avec ce sentiment tragique de la vie ? Les différentes sagesses (du bouddhisme à l’épicurisme en passant par le stoïcisme, etc.) offrent des méthodes où chacun pourra trouver ce qui lui convient. Par ailleurs, la force du désir, conçu comme amour, peut par élans submerger ce sentiment tragique de la vie, dont Miguel de Unamuno a donné une version très espagnole.

16/3/23

            Comme les gros nuages noirs sont lourds d’orages, le nationalisme est porteur de guerres, tôt ou tard.

 

17/3/23

            Les entités en conflit : affrontements entre groupes, entre communautés, entre nations, entre coalitions, entre civilisations. La science-fiction a introduit la guerre entre fédérations planétaires. Les humains ne peuvent-ils se regrouper que contre d’autres ?

            Heureusement, les groupes de philatélistes ou de promeneurs du dimanche ne se chamaillent pas !

 

18/3/23

            On répète que le moi se pose en s’opposant. C’est une modalité, un peu facile, presque machinale.

Mais une manière plus vraie, plus fine de se poser consiste à exprimer son moi profond. Encore faut-il bien se connaitre, avec toute sa complexité, ses contradictions.

Il est même possible qu’à ce niveau-là, l’on n’ait même plus envie de se poser !

 

19/3/23

            Il existe des cultures dans lesquelles l’idée qu’un groupe gagne et l’autre perde est inenvisageable. On fait en sorte de rejouer jusqu’à l’égalisation. Pas de vainqueurs, pas de perdants, pas de rancœur.

 

20/3/23

            Le concept de « guerre totale » implique la population civile, sans défense, qui se voit autant (voire plus) attaquée que son armée. Cette effroyable invention remonterait, selon des historiens, à l’invasion de l’Éthiopie décidée par Mussolini en 1935.

Une invention continuant à faire des émules.

21/3/23

            La consommation remplit, dit-on, un vide. Mais c’est ce vide initial lui-même, trop fréquent, qui n’est pas normal. Peut-être est-il justement dû à la... consommation !

 

23/3/23

            Les temps de la création chez l’artiste :

            Il bégaye, l’œuvre s’esquisse. Il parle à l’œuvre, elle lui répond. Maintenant il se tait, c’est désormais elle qui parle. Puis voilà qu’elle se tait… Bouleversé, il essaie en vain de la refaire parler (colères de Michel-Ange). Il abdique : elle parlera (ou non) aux autres.

 

25/3/23

            La rapidité avec laquelle, dans les arts, une idée formelle, pertinente dans un contexte précis mais donnant l’impression trompeuse d’être efficace hors de tout contexte, est saisie, copiée, dupliquée par les uns et les autres jusqu’à l’écoeurement montre le pragmatisme de nombre d’artistes médiocres, obsédés par la crainte de perdre leur visibilité dans le champ artistique.

 

27/3/23

            S’il fallait une illustration supplémentaire du pouvoir de l’inconscient, en voici une : combien de temps faut-il pour que nous acceptions qu’une pratique nous fait vraiment du mal alors qu’une autre nous fait vraiment du bien ? On le sait parfaitement mais on ne change pas, on fait ce qu’il ne faut pas et on ne fait pas ce qu’il faut.

            Une affaire de représentations figées et profondes. Figées parce que profondes.

 

29/3/23

            La conception du bonheur de l’égoïste est la suivante : je ne me soucie pas du monde, je ne m’en fais pas pour les autres, je ne m’inquiète en rien pour tout ce qui est extérieur à ma sphère personnelle. Aussi aurai-je moins de tracas et de tourments, ces derniers n’étant réduits qu’à ce qui peut m’affecter… Cette conception implique de pouvoir vivre bien sans empathie, sympathie, attachement. Il est probable que, pour se maintenir et prospérer, la vie sociale ait dû vite déconsidérer cette attitude, soit par le biais de la religion et/ou de la morale, soit par le biais du système de réciprocité faisant qu’on rejette les égoïstes. Les égoïstes se sont adaptés à cette déconsidération grâce à une stratégie dont ils usent habilement : l’hypocrisie.

 

31/3/23

     Accepter la mort, au fond c'est terrible pour la vie en nous, car il est vrai qu'elle n'arrête pas de s'insurger contre la mort, de la refuser.

Mais en même temps, quelle paix enfin ! Quelle sérénité !

 

    

           

Ajouter un commentaire

Anti-spam