1/11/20
"Imagine si ceci
un jour ceci
un beau jour
imagine
si un jour
un beau jour ceci
cessait
imagine"
Samuel Beckett
Les mots, la forme admirables pour être à la hauteur de cet indicible
qu'est le miracle de vivre.
3/11/20
L'artiste exalté rêvant de s'adresser à tout un chacun...
Puis, quand il fait l'addition des portes qui se ferment, des suspicions éprouvées à l'égard de ces portes qui s'entrouvrent et des nombreux malentendus derrière les portes qui se sont ouvertes, alors, en souriant avec tristesse, il retrouve le chemin de sa solitude...
5/11/20
"C'est curieux, nous sommes en désaccord sur beaucoup de sujets, notamment politiques, nous ne pourrions guère nous entendre au quotidien, mais voyez-vous, son style, la manière dont il formule, exprime les choses me sont terriblement attachantes, et je sais très bien que cela s'adresse à la partie la plus intime de ma personnalité", dit-il. Il a raison et je pourrai en dire tout autant à l'extrême inverse : d'accord avec tout chez celui-là, mais rien à voir avec son genre, sa manière. C'est insurmontable.
7/11/20
Admiration sans réserves devant l'énorme travail de l'artiste !
Tout ce qu'il a fallu comme Amour de son oeuvre, de sa composition, de son sujet, de ses techniques ! Amour dont les preuves sont la patience, l'attention, la gravité, la minutie, et tout ce à quoi il a fallu renoncer comme divertissements, qui ne sont que manoeuvres de diversion.
Cet Amour semble exsuder de certaines oeuvres d'art brut, non pas qu'il y en ait plus que dans d'autres créations, mais sans doute leur naïveté le rend plus perceptible.
9/11/20
L'évocation des chers disparus... Comme une bulle montant à la surface, une image d'un seul coup émerge à notre conscience. C'est juste un sourire, une attitude habituelle, souvent banale, de l'être qui est parti à jamais. Une intonation de la voix, un regard bref...
Mais comme vite ces images s'estompent ! Des graphes brouillés, des lignes un peu gommées... Comme certains furtifs dessins de Cy Twombly.
11/11/20
Tous ces humains qui s’activent comme des fourmis, laborieuses, spécialisées, tenues par leurs tâches... En même temps, dans chacune de ces fourmis, il y a la mémoire d’une panique, d’un affollement qui les a fait courir dans tous les sens sans savoir où, pour quoi ni comment.
Ce gros coup de pied dans la fourmilière, c’est tout simplement la pensée vertigineuse du néant, d’où nous sortons pour à jamais devoir y rentrer.
À moins d’être protégés par une croyance religieuse profonde, nous portons tous - et tous nous refoulons - cette panique insoluble devant l’invincible horreur du néant.
13/11/20
Ces nuances infinies d’orangés, d’ocres, de jaunes dans les feuilles mortes amoncelées…
Le peintre extasié se demande : quel artiste pourrait en faire autant ?
Ainsi il ne peut se représenter la nature autrement que comme un artiste créateur auquel se comparer, tout comme autrefois les beautés de la nature étaient reçues comme des marques du Génie divin. Alors, dans un cas comme dans l’autre, même si c’est une erreur d’appréciation – car la nature n’est pas plus consciente que créatrice -, la nature ne cesse de paraître jeter des défis, ou « donner des leçons » aux artistes. Et l’on conseille toujours : « Artiste, mets-toi à l’école de la Nature ! ».
15/11/20
"La seule vérité est qu'il faut se créer, créer ! C'est alors seulement qu'on se trouve", écrit Pirandello.
Le moi social, tel qu'il se construit en rapport avec les autres, le moi fonctionnel, tel que nos tâches le déterminent, le moi convenu, tel que les autres et nous-mêmes le résument dans des qualificatifs creux : tous ces egos restent insuffisants, superficiels. Et puis un jour, nous faisons une statuette ou un dessin ou bien nous écrivons une nouvelle, et alors nous sommes surpris de tout ce qui, de ces œuvres, émane d'indiscret sur nous-mêmes !
17/11/20
Tellement précis, intense et véridique ce rêve qu'il a mis, se réveillant soudain, vingt secondes au moins à réaliser que c'était irréel... Et combien de temps à retomber sur terre après un film, un roman si captivants ?
La folie : réussir à entrer avec armes (l'intellect) et bagages (la mémoire) dans le rêve, la fiction pour ne plus en sortir.
19/11/20
Pour le dessinateur, le fait qu’une ligne simplement, une ligne en valeur (plus ou moins épaisse), des hachures et/ou des points, un agencement d’espaces puissent générer tout un monde vivant, un monde plus stimulant parfois que la réalité, au point qu’il ait même envie d’y entrer, dans ce monde, ce fait tient chaque fois du miracle. Il ne s’en remet pas !
Et voilà pourquoi aussi bien les bédéistes que des artistes aussi différents que Rembrandt ou Giacometti dessinaient continuellement… Voilà pourquoi également, juste pour avoir une vie « normale », professionnelle, familiale, intellectuelle, etc., un certain nombre de ceux qu’on dit « avoir le coup de crayon » ou être naturellement doués en dessin se détournent vite de cette passion, qui est dévorante et presque exclusive.
21/11/20
La sensibilité, la réceptivité de notre esprit, se voit le plus souvent opacifiée par le perpétuel torrent de nos pensées. Nous ne sommes pas disponibles pour bien recevoir le monde par nos cinq sens. Nous voyons sans regarder, nous entendons sans écouter, nous goûtons à peine, et nous sentons aussi mal que nous touchons...
Le « sensationnel » pour éveiller notre sensibilité, au niveau des cinq sens, est une réponse sociale, mais elle demeure éphémère et inflationniste.
Non, il faut un apprentissage de l’ « aesthesis », de la sensation. C’est la base même de l’Esthétique.
23/11/20
« Les paysages étaient comme un archet qui jouait sur mon âme », écrit Stendhal dans Vie d’Henri Brulard. Mais pour toi, les villes, certaines villes jouent le même rôle, agissent de la même façon...
Alors, en dépit de leur uniformisation croissante, ces villes te parlent intimement et cette adresse, comme un chuchotement confus, passe au-dessus de ton moi conscient.
25/11/20
Le romancier a reçu une lettre enthousiaste d'une lectrice. Elle adore ce qu'il écrit, elle lit tous ses romans... Mais voilà qu'elle parle aussi d'elle, de ce qu'elle est, de ce qu'elle vit, de ce qu'elle aime...
Jusqu'à présent, le romancier en écrivant s'adressait à un autre indifférencié, comme à une salle dont l'obscurité noie le visage des spectaeurs, et il se sentait libre.
Voilà maintenant qu'il sait exactement qui, à l'autre bout, aime ce qu'il fait... Et il se pose des questions nouvelles et encombrantes comme : ça, va-t-elle l'aimer ? Ne vais-je point la décevoir ? Etc.
Et il maudit cette lettre d'éloges qui naguère l'avait flatté.
27/11/20
Toutes ces choses que tu as accumulées au plus profond de ta mémoire au point de les avoir oubliées, voilà qu’elles remontent lentement, et se mêlent aux préoccupations du moment, au point d’en être méconnaissables… Alors cette matière, tu la reprends en compte dans le contexte global de ton projet artistique, qui est un désir de promouvoir cela qui s’exprime.
Mais tu recules, effrayé, par cette création à l’état premier. Donc tu interviens dessus, par ta technicité, trouves et mets en valeur d’intéressantes relations internes, rends plus présentable ce qui va être socialisé… Sans doute penses-tu alors à ton public ou à tes acheteurs. Mais parfois tu hausses les épaules en songeant : bon, cet enfant-là n’ira jamais dans le monde !
29/11/20
On a beaucoup répété qu’un humain est difficile à comprendre. Ce n'est pas toujours vrai : il est parfois si prévisible !
Mais vis avec un chat, observe-le et ressens comme il est impénétrable, apprécie l’opaque épaisseur de son mystère.
30/11/20
Bon voilà, c’était un être intelligent, caustique, jouant avec les codes et s’en tirant toujours par une brillante pirouette. Il comprenait vite ce qu’il lisait et le rejetait aussi sec. Il allait à l’essentiel puis passait à autre chose. Au fond, il était parfaitement à l’aise dans une sorte de journalisme intellectuel, ou de courrier vif, élégant, qui relate le monde.
Mais un jour, hélas, il eut envie de faire une œuvre vraiment artistique, un roman, un film.
C’était inintéressant, emprunté, poseur… Pourtant le malheureux se débattait, faisait bien des efforts, mais personne ne fut convaincu et lui encore moins que les autres.
« C’est un film de critique ! » ou « C’est un roman d’intellectuel »…
Ah mon ami, tu ne peux pas, tu ne peux plus être le jouet d’une œuvre, sa chose, humble et fidèle !
Trop intelligent pour ça.