2/10/18
Pourquoi être allé à la mer avec un ciel gris, du vent, une sorte de bruine ?
La plage, déserte, s’étend à perte de vue, rencontrant au loin l'océan qui s’est retiré dans ses fureurs d’écume.
Il faut laisser des traces éphémères de son passage, même si le sable et le vent et la mer les effaceront vite. Même si c’est complètement inutile, il faut témoigner qu’on a ce matin foulé la poudre claire de silice, et qu’on s’est arc-bouté contre le vent adverse…
Même si ça ne sert à rien.
4/10/18
Installé à la terrasse d'un café, il regarde les gens aller et venir. Chacun sait où il va, pas de démarches hésitantes ni d'arrêts soudains et dubitatifs. Par définition le passant passe... Nul ne regarde ceci ou cela qui se présente. Il paraît qu'avoir sur soi un appareil de photo, c'est se donner la permission de ne pas faire que se rendre ici ou là, mais de pouvoir s'arrêter devant les multiples spectacles que propose la rue. Il paraît que sentir la précarité de la vie donne la sensation que tout est extraordinaire. Il paraît encore qu'hésiter est une ruse secrète pour contrarier l'homme d'action en soi, et favoriser le contemplatif. Il paraît enfin que tous nos buts étaient vains, et que la seule substance poétique de notre existence se trouvait sur le chemin.
6/10/18
Le terrain est verdoyant, l'herbe pousse dru avec un bel éclat.
Mais le terrain est bosselé, tourmenté, creusé de ravins et fosses étranges.
C'était un enfer noirâtre de boue, de fer, de cadavres, d'explosions, d'ossements...
Il y a un siècle.
8/10/18
"L'oeil est la plus belle salle de rendez-vous", écrivait Malcolm de Chazal. Ah, tout ce, tous ceux qu'une rétine a fait se rencontrer en une vie !
10/10/18
Au cas étonnant où tu ne le verrais pas dans la ville, tu es obligé de l'entendre... Le travail. Les bruits du travail. Entends-les qui viennent ponctuer la basse continue de la circulation.
Le casque avec de merveilleuses mélodies dans les oreilles, c'est le principe de plaisir. Mais cette musique concrète de la ville, c'est le principe de réalité. Tu entends le message impérieux ?... Circulez, travaillez !
12/10/18
Le moteur pétarade parce qu'il est en colère contre cet espace qui ne finit jamais...
14/10/18
Au soleil, au jardin, dans un fauteuil, sur un livre, l'attention s'éclipse.
Un pigeon comique, un étrange petit nuage, la langue inconnue de ces touristes... sont venus nous extraire de l'adhérence au texte. C'est qu'il y a toujours un autre texte qui se gribouille à côté. Celui de la vie.
16/10/18
Quelle tristesse, quelle aberration que l'"industrie culturelle" ait fait de tout l'art un divertissement, une consommation, un passe-temps, un oubli ! Il ne méritait pas une telle dégradation...
Entre la mort et le désir, le réel et le rêve, l'art est pourtant ce qui nous confronte avec le plus de force à notre merveilleuse et tragique condition.
18/10/18
Sommes-nous encore restés gamins au point de nous enthousiasmer à un spectacle de cirque, en attendant toujours quelque chose d'extraordinaire, une magie que rien ne peut dissiper ? Ou bien sommes-nous blasés au point de maintenir le rituel sans y croire, en pensant à autre chose, ou en évaluant ce spectacle comme n'importe quel autre ? Avons-nous encore gardé la fraîcheur du regard enfantin, son humidité scintillante, ou bien n'avons-nous plus que l'oeil sec et blasé des vieux sauriens, une xérophtalmie rampante, parce que nous n'avons plus assez de certaines vitamines ?... Le spectacle de cirque, ou de cabaret, est un bon test.
20/10/18
Encore une très belle journée d'automne, froide le matin et de plus en plus chaude, éblouissante de son ciel bleu, allongeant des ombres noires sur les parterres roux, jaunes ou ocres. Réchauffer sa mélancolie.
22/10/18
"Plus tard, il sera trop tard, notre vie c'est maintenant", écrivait Jacques Prévert.
Fichue intelligence qui nous fait anticiper chaque chose, nous projeter plus loin pour mieux agir ! Fichue mémoire qui n'arrête pas de nous rappeler les bons moments du passé, ou se plaît à nous faire mal à coups de regrets, et parfois de remords ! Fichue imagination qui nous transporte ailleurs et dans d'autres espaces/temps !... Notre faculté amie : l'attention. La faculté du maintenant.
24/10/18
Comme elle est étrange cette ville thermale où les individus viennent soigner leur estomac, leurs intestins, et où tout un gouvernement s'est réfugié, il y a plus d'un demi-siècle, pour soigner le mal incurable de l'esprit de défaite, l'esprit de démission !
26/10/18
Ce qui monte de notre corps et dont nous ne sommes pas conscients peut susciter à notre insu certaines émotions et, à plus long terme, des sentiments.
Nous associons ces émotions ou sentiments à ce que nous percevons et, encore sans nous en rendre compte, nous croyons à une relation de cause à effet.
Avant d'entrer dans une salle de spectacle ou une exposition, c'est l'hygiène du critique d'être pleinement conscient des messages que lui envoie subrepticement son organisme. Ainsi la somnolence postprandiale, par exemple, doit être reconnue pour ce qu'elle est. Il serait alors injuste d'accuser la pièce de théâtre d'être somnifère.
28/10/18
"Le témoignage des sens est lui aussi une opération de l'esprit où la conviction crée l'évidence", écrit Proust dans La prisonnière. Le sage bouddhiste lui répond qu'il n'a d'autre conviction que son impermanence et l'impermanence de toute chose. Comment alors perçoit-il le monde ?
30/10/18
"Désaffectiver" nos sensations pour mesurer le poids de nos représentations, de nos a priori émotionnels, de notre mémoire également dans l'acte simple et supposé "objectif" de la sensation.
S'entraîner à partir d'un ciel brumeux et gris d'automne...