Octobre 2022

1/10/22

            La vie publique est largement imprégnée d’hypocrisie. Les postures, l’emphase, l’image de soi prévalent le plus souvent sur l’authenticité.

            Alors que la littérature n’a pas plus pour fonction de dire le vrai que de faire la morale, c’est en elle que nous allons parfois trouver enfin une parole authentique, aussi bien sur nos désirs que sur notre petitesse ou nos méchancetés. C’est grâce à elle que nous pouvons nous décharger de temps en temps du fardeau de la duplicité sociale.

 

2/10/22

            Dans la création, c’est toujours « Je t’aime » mais écrit de la manière suivante : « Jeux thème ». Des jeux avec le thème choisi, le thème comme motif de jeux, etc.

            Mais, à cause de l’inconscient qui opère, ce n’est pas que ça.

 

3/10/22

            Déni de la beauté dans le réalisme, l’expressionnisme (déjà Goya…). Puis c’est la beauté comme vitesse, énergie (le futurisme), comme convulsive (le surréalisme), comme pure fonctionnalité (le Bauhaus, le design). La beauté s’éclate aujourd’hui en mille propositions qui incitent à en rester au subjectivisme. Mais surtout, on a décapité l’impératrice beauté pour lui préférer toutes les autres catégories esthétiques, autrefois soumises à son règne.

4/10/22

            Si le beau est dans le regard et non dans la chose regardée, pourquoi créer ?

            Propositions d’une éducation esthétique visant à faire de la vie simplement un déploiement artistique permanent. Éveil de la sensibilité esthétique, quête des émotions esthétiques, mais, pour cela, condition sine qua non, il faut d’abord savoir interrompre le flux mental des soucis, du prosaïque, de l’utilitaire. Aucune révélation, aucune épiphanie (sauf à recourir à l’ivresse) n’est possible sans cette interruption ou, à tout le moins, ce ralentissement.

5/10/22

            Un proverbe chinois dit que l’homme ivre s’entretient avec les dieux. Oui, il fait renaître le polythéisme le plus extrême pour s’entretenir avec les divinités cachées en toutes choses…

7/10/22

            Le style d’un auteur : ce dans quoi baigne son langage. Une petite musique de fond, ou une couleur de base. C’est l’expression la plus profonde du « moi littéraire », du moi voué à l’écriture.

            Vouloir « faire du style » alors, c’est une pose, souhaiter séduire au moyen de ce qui plaît au plus grand nombre, comme les métaphores.

            Mais, pour la plupart, l’expression de leur personnalité en ce qu’elle a de singulier ne passe guère par l’écriture. Et, même, diffractée par les actes insignifiants du quotidien, déviée par les codes sociaux de communication, cette expression profonde ne passe tout simplement pas.

 

8/10/22

            Rêves d’amour : il cherchait son double parfait en féminin. Elle cherchait l’homme qui fut le plus complémentaire de ce qu’elle était… Mais il fallait que l’une et l’autre reviennent à la réalité bancale des amours qui se bricolent au quotidien dans le relatif et l’à peu près.

 

9/10/22

            Peut-être que la vraie frontière politique passe par l’idée que l’on se fait du progrès. L’initiative privée audacieuse stimulant les technosciences pour un profit accru : tel est le progrès pour les libéraux capitalistes. L’émancipation des peuples qui prennent enfin pleinement leur destin en mains, tel est le véritable progrès pour les socialistes autogestionnaires.

 

10/10/22

            « Des pilastres grecs dans une prison consolent », écrit Stendhal.

            Que de fois nous nous sommes avisés que, hélas, l’art n’était pas puissance,  transformant la réalité, mais seulement consolation !

 

11/10/22

            Ironique, il disait que la véritable différence entre les jeunes et les vieux, c’est que les premiers se débattent vigoureusement contre la mort, tandis que les seconds, ayant compris que ça ne servait strictement à rien, ne se débattent plus.

 

12/10/22

            Le sommeil sans rêve, c'est la mort, et le rêve, c'est la vie (« la vie est un songe » Calderón). Ces vieillards qui dorment toute la journée résument la condition du vivant.

 

13/10/22

            Moi : quel est ton âge ?

            L’humain : sept millions d’années

            La terre : quatre milliards et demi d’années

            L’univers : presque quatorze milliards d’années

            Lui : 85 ans

            Moi : à l’évidence tu n’es pas crédible !

 

14/10/22

            L’histoire des hommes saisie à partir de la naissance, de l’essor, de l’hégémonie puis de la décadence des empires. Ce sont les grandes fractures de l’histoire.

 

15/10/22

  • Tu ne seras pas là pour savoir que tu n’es pas là. On ne réalise pas sa mort puisqu’on est mort. Et donc, on ne connaît que de la vie… D’une certaine façon alors, on est éternel.
  • Oui, mais je sais que je ne serai pas là pour savoir que je ne suis plus là ! Et, ironie, paradoxe, c’est de mon vivant que j’endure l’idée épouvantable de ma mort.

     

16/10/22

            Que toute personne devienne lassante - sauf à être idéalisée par le regard passionné, qui est une forme d’hallucination -, c’est une évidence… Ses rengaines, ses obsessions, ses soucis dominants, ses thèmes favoris, on en fait assez vite le tour, et l’on est bien obligé d’aérer cette fréquentation par les vents variés du monde extérieur.

            Mais le drame secret de l’affaire est qu’une personne ne serait jamais lassante si l’on avait accès à ses pensées secrètes, ses impressions fugaces, toujours personnelles et souvent originales, qu’elle-même se dépêche malheureusement d’oublier, pour ne présenter que la face socialement, psychologiquement admise et reconnaissable, de sa personnalité.

 

17/10/22

            Angoisse des jeunes : trop de portes sont ouvertes. Angoisse des vieux : trop de portes se ferment. Calme de l’âge mûr : l’attention à la pièce où l’on demeure.

 

18/10/22

            Dans la pensée indienne, l’existence humaine est vouée à la souffrance par le fait qu’elle se déroule dans le temps. Inquiétude à cause du futur, remords et nostalgie à cause du passé, présent insaisissable… Le hors du temps est possible, mais par la mystique, ou retrouver son âme d’enfant ou enfin la schizophrénie.

 

19/10/22

            Il avait noté que si l’on mettait de l’alcool dans le sablier, le sable faisait des grumeaux, s’écoulait plus mal et… le temps ralentissait !

 

20/10/22

            Lacan disait que la mémoire est quelque chose qui tourne en rond. C’est valable pour certains souvenirs, lesquels reviennent sans cesse comme les séquences musicales d’un disque rayé. Mais d’autres souvenirs émergent quand certains s’estompent, disparaissent, tout cela commandé par notre réalité présente. Il y a une histoire de notre histoire personnelle.

 

21/10/22

            Il est vrai que remplacer le mot « temps » par le mot « vie » est assez éclairant, faites-en l’expérience.

 

22/10/22

            Notre besoin de consolation est impossible à rassasier est le titre d’un court et fort essai de l’écrivain suédois Stig Dagerman (1923-1954) qui s’est suicidé à l’âge de 31 ans.

            Il s’appelait en réalité Stig Jansson, mais il avait changé son nom en Dagerman. Or « dager » en suédois veut dire lumière du jour, espoir… Le surnom ne l’a pas protégé de blessures profondes et précoces, sa mère l’ayant abandonné alors qu’il n’était qu’un petit enfant.

            Mais, au-delà de Stig Dagerman et de sa dépression fatale, combien d’entre nous restent toute leur vie inconsolables, et entendent au plus profond d’eux-mêmes des pleurs qui reviennent sans cesse, et qu’aucun divertissement ne peut calmer ? Tant que l’Enfant en nous reste bien vivant, ses pleurs sont possibles… Il pleure sur la morne démolition que l’existence adulte lui fait subir.

            Les autres ne savent pas nous apporter les paroles, tenter les gestes de consolation dont nous avons besoin. Alors, nous devons apprendre à nous materner patiemment, continuellement.

24/10/22

            Sans doute existe-t-il des liens subtils entre la personnalité d’un artiste et sa création. Mais on juge la création, non l’artiste. Il peut être dur, odieux, mesquin, tyrannique… Nous ne sommes pas obligés de le savoir, nous aurions pu ne pas le savoir. Il n’empêche : l’œuvre est là, comme une personne à part entière (son enfant qui est de lui, mais pas lui), et c’est elle que nous aimons ou pas.

25/10/22

            C’était là en réalité sa puissance : il tenait en même temps les deux extrémités…

            Sans aucun doute, cet effort l’écartelait et c’était bien plus lourd, mais il gardait un avantage immense sur tous ceux qui d’un seul bout se contentaient.

26/10/22

            Comme ils se payent cher, les vaniteux plaisirs du succès, quand ensuite, comme c’est le plus souvent le cas, l’oubli, le rejet ou, pire, l’indifférence s'imposent autour de soi !

           

           

             

           

           

           

             

           

             

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