2/9/18
Toute la soirée, le promeneur longe la rive droite du fleuve, constamment ébloui par le soleil. Il ne distingue plus les traits des passants qui viennent en face, et sont réduits à des silhouettes noires. Il entend de moins en moins les bruits tout autour. Le ciel bleu est devenu jaune pâle à l'horizon.
Seul marche en silence le promeneur, croisé par de furtives ombres anonymes, pointé par ce dur soleil qui le scrute.
4/9/18
Gratter l'eczéma de la tristesse, c'est un vice.
6/9/18
Pourquoi se divertir, s'occuper, tuer le temps ?
Ne nous est-il pas précieux ? Est-ce là un des signes de notre hâte secrète de mourir ? Avec l'illusion bien entendu de renaître : mais non c'est fini, on ne renaîtra jamais plus. Comment trouver ce qui n'est pas divertissement, passe-temps, mais rencontre véritable avec le temps : par l'oeuvre qui s'élabore lentement, par la rencontre silencieuse, par la connaissance approfondie ?
8/9/18
Le promeneur retrouve la ville qu'il avait aimée, avec ses tours disparates, l'amplitude de ses marées, ses façades d'un gris élégant, ses innombrables mâts de voiliers, son quartier moderne qu'il surnomme "islandais" à cause de ses maisons multicolores. Il a envie de faire semblant qu'il habite ici, en choisissant d'être reconnu par un commerçant, un bistrotier... Mais non, il n'habite pas plus ici qu'ailleurs en réalité.
Il est partout de passage, même soi-disant "chez lui"... Un effet de l'habitude que cette impression de chez soi ! Il n'est, comme tout le monde, qu'un locataire de l'existence, susceptible d'en être expulsé à tout moment.
10/9/18
Le soir, en piaillant, les oiseaux s'amassent en nombre sur la partie conique et hérissée de la tour...
Et puis d'un seul coup, sans qu'on sache pourquoi ni comment, ils s'envolent tous en même temps en une nuée noire et mobile, et disparaissent... Sans doute ont-ils dû se concerter car les voici bientôt de retour, en un même vol enveloppant, pour investir les reliefs de la pierre.
Le même absurde tapage, les mêmes effets de groupe dans l'arrivée comme dans le départ que les vacanciers. La grâce de l'envol en plus évidemment.
12/9/18
L'écume éblouissante derrière le bateau qui fonce vers l'île... Une explosion de mousse, des crinières entrecroisées de chevaux marins, un jaillissement de panaches éphémères. Et deux blanches obliques qui se creusent et s'ouvrent vers la côte qui s'éloigne.
14/9/18
Toutes ces choses qui sont liées au passé ! Cartes, dessins, bibelots, poussiéreux, abandonnés... Pourtant déclencheurs magiques de mémoire, ces objets, rendent encore présent ce qui n'est plus ! Ils luttent de façon dérisoire, héroïque, entêtée contre l'indifférence, l'oubli frivole, le néant qui avale tout.
Ils ressemblent à ces petits vieillards qui n'ont qu'une histoire à raconter, la même, mais dont on sait que leur témoignage reste unique, précieux. Ils nous encombrent mais on les aime, parce qu'ils sont la vie à leur façon, la vie au passé qui refuse d'être évacuée, balayée...
16/9/18
Le conférencier et les monuments... Il raconte des histoires du passé, mais ça ne coïncide pas du tout avec ce qu'on voit au présent, tout comme ces ruines antiques dont on demande aux visiteurs la transfiguration, la reconstitution par l'imaginaire, en cités splendides qu'elles furent, dit-on.
Cette vieillarde toute fripée, efflanquée, cette carcasse tremblante était, dit son petit-fils, une authentique reine de beauté !
L'imagination au service de la mémoire. Le passé n'est ainsi fait que d'histoires, d'évocations : il faut imaginer la ville puissante en pointillés sur le champ de ruines, et la femme splendide comme un fantôme de jeunesse derrière la momie.
18/9/18
Les feuilles mortes sur le sol comme du vieux parchemin déchiré sur lequel rien n'est écrit. Le vent les promène de façon aléatoire.
Le grand livre de la nature en pièces, et finalement aucun message à nous délivrer...
20/9/18
Il imagine encore qu’échapper à la mort consiste en la résolution d’une énigme, en une simple astuce à inventer… Une petite porte à découvrir dans l’espace-temps ou une substance qu’on trouverait quelque part sur notre planète. Résolution de la mort par la physique, la chimie, la biologie, voire une formule mathématique. Échapper à la mort exige sans aucun doute une extrême sagacité. Jusqu’à présent, elle gagne à tous les coups cette partie d’échecs. Mais qui sait ? Un jour…
22/9/18
Les ombres s’allongent sous le soleil d’automne, et les journées raccourcissent.
Les marrons tombent des arbres, leur bogue éclate, surgit le fruit d’acajou luisant.
Les corbeaux montent vers le haut des arbres, battant des ailes noires et criant d’affreuses nouvelles.
Mais ce n’est que l’automne, ce rouquin grognon, qui se radine…
24/9/18
Personne n’a le fin mot de l’Histoire. Seule l’humanité a le mot Fin de l’histoire, mais l’humanité reste une abstraction. Ceux qui assisteront au délitement du récit historique parce qu’ayant éclaté en colonies différentes dans l’espace, l’humanité ne sera plus une mais multiple, se diront qu’il n’y avait pas de destinée humaine, en fait, que l’hypercomplexe rendait impossible la synthèses finalisée.
26/9/18
On lui demande poliment de goûter ceci puis cela. Des mignardises aux goûts variés avec, chaque fois, une présentation originale. Oui, c'est intéressant, nouveau, surprenant...
Mais un doute l'assaille sur cette nouvelle cuisine qui joue avec les saveurs, les textures et les apparences : et s'il n'y avait aucune règle dans toutes ces recherches, et si le cuisinier pouvait, comme dans l'art contemporain, proposer n'importe quoi à condition d'être novateur ?
28/9/18
Nos anciens… Les très vieux : pliés, maigres, cassés, effondrés dans leur chaise roulante. Regard fixe, vitreux. Une répète indéfiniment la même phrase, incompréhensible, mais ils restent silencieux pour la plupart. La télévision est toujours allumée, un seul pensionnaire la regarde, ou plutôt la voit, distraitement. Ils sont tous ailleurs, mais où ?... Après de si nombreuses années où ils ont passé, tué le temps, les voici enfin devant lui, qui leur fait l’immense faveur de ralentir, parfois même s’arrêter. À fixer ainsi le mur, une fenêtre ou ses mains veineuses, les jours deviennent interminables.
Les vieillards ont tout oublié, ils ne se projettent plus dans un futur, mais ils s’enfoncent dans le moment présent
.……………
Qui est l’Être.
Qui est la seule réponse au néant.
30/9/18
Une allée bien tracée pour les cyclistes et les promeneurs, et une rivière tranquille avec des bords un peu tristes. Le promeneur espérait découvrir de vives couleurs d’automne, mais c’est le vert profond d’une épaisse végétation qui l’accueille. Quelques baraques disloquées surgissent parfois entre les arbres. Un lourd silence qu’interrompent des cris brefs d’oiseau.
Le ciel s’est couvert. De la rivière monte une riche odeur de décomposition.
Est-ce la fraîcheur soudaine ou bien avoir pressenti autre chose, mais le promeneur soudain frissonne.
Au loin, une petite vieille en noir, immobile.