1/9/19
Tout ce qui monte de soi... Le pire comme le meilleur. Mais surtout le médiocre !
Car le moi est d'abord un servant zélé de l'adaptation à la réalité sociale, économique. Tracas, soucis, intendance. Dans ses moments de répit, le moi opérateur se définit, se situe par rapport aux autres : ce n'est alors pas une fonction mais une habitude. Inlassable médiocrité.
Mais, de temps en temps, une idée, une envie, un projet monte des profondeurs, créature singulière et diaprée. Ô recueille vite cette créature ! Mot, image ou musique. C'est le plus rare et le meilleur de toi-même.
3/9/19
Le silence entre deux personnes... On ne peut pas se regarder longtemps et se taire en même temps. Le regard demande tôt ou tard une confirmation ou un démenti de ce qu'il a pressenti dans les yeux de l'autre. Alors on ne se regarde plus et l'on continue à se taire. Chacun tourne ses yeux dans une direction différente, sans rien voir d'ailleurs, mais entraîné dans le torrent des pensées.
En disant la formule "un ange passe", la tradition nous suggère que ces moments de silence pourraient être ressentis comme une douce bénédiction. Mais non, le langage est impérialiste, autoritaire : fait pour l'échange, même le plus creux. Tout sauf le silence : ils n'arrêtent pas de jacasser, nos démons !
5/9/19
Les mouvements de la mer, les marées. Une respiration puissante, un rythme qui s'ajoute aux autres rythmes du quotidien, lui apporte son calme, son amplitude, son mépris souverain de la temporalité menue, hachée.
La lune, et parfois même le soleil, derrière ces avancées ou ces retraits immenses qui scandent la journée. L'astre au logis : la vraie.
7/9/19
Les mégalopoles, les grandes cités, les conurbations...
Absurdes quelque part, ayant perdu leur identité d'origine, finissant toutes par se ressembler dans leur fourmillement laborieux et leur divertissement infiniment varié, les deux étant juste fonctionnels.
Pas d'enracinement, de vie proprement locale, mais un "devenir-monde" imbu de lui-même, faisant de ces innombrables citadins des myriades de petit poissons froids et arrogants.
9/9/19
L' homme politique veut quelque chose quand il parle. L'artiste ne sait même pas ce que ça veut en lui...
Karl Kraus pointe très bien la différence en disant : "Un agitateur saisit la parole. L'artiste est saisi par la parole".
11/9/19
On ne peut pas comparer l'être et le néant. Le néant est par définition inconnaissable.
Il n'y a donc pour chacun que de l'être, avec cette idée irritante, parce qu'on ne sait trop quoi en faire, qu'il va un jour définitivement s'arrêter.
13/9/19
Il n'y a que l'idée du repos ("repose en paix"), du sommeil ("le sommeil éternel") qui pourrait rendre souhaitable la mort. Chez des êtres épuisés, blessés à vif, souffrant dans leur chair ou dans leur esprit continuellement, la mort apparaît comme l'Apaisement, la solution définitive.
Cependant l'expérience montre qu'il n'y pas que ces individus qui vont, suicide ou fin de vie assistée, vers la mort. L'orgueil de certains autres ne supporte pas les avanies, les humiliations de la vieillesse ou encore un affreux ennui qui se profile... Ils ont l'impression, les Hemingway, Montherlant, etc., de déchoir à continuer à vivre dans ces conditions. Enfin, il y a ceux qui assistent, impuissants, à la destruction, au piétinement de leurs idéaux, des idéaux qui les faisaient vivre. Eux aussi, les Zweig, Benjamin, etc. préfèrent la mort à la vie dans un contexte aussi dégradé.
15/9/19
Être en harmonie avec soi-même... Tout ce qu'il faut d'abord accepter, avaler de cet être pénible, imparfait, misérable qui est soi-même ! Coexister avec cet enfant trouillard, pleurnichard ou furibard, trouver un intelligent modus vivendi avec lui, puis peu à peu entrer dans une sorte d'affection. Et là, c'est magique : on devient patient, serein et même sincèrement bon.
17/9/19
"La mode
est une fleur morte", disait Picabia.
Comme c'est bien vu, et l'on ne sait pas pourquoi !
19/9/19
L'injustice, l'inégalité, si répandues dans les sociétés humaines, contribuent-elles à masquer l'horreur du néant ? Ceux qui sont au-dessous croient tellement au merveilleux de la richesse et du pouvoir qu'ils en oublient la terrible égalité de tous devant la mort. Ceux qui sont au-dessus se parent tellement des oripeaux de leur "supériorité" qu'ils ne distinguent plus le cadavre en attente sous ces oripeaux.
Le thème des vanités, dans la peinture, rappelle aux riches leur mort plus ou moins prochaine. Mais il est inspiré par la religion et son propos reste moral, menaçant.
Pour un athée matérialiste, il n'y a pas de survie de l'âme. Dans les sociétés modernes, on n'y croit plus à cette "seconde vie"... Du coup, s'il n'y a qu'une seule vie, immense va être l'avidité dans tous les domaines pour oublier le néant, jusqu'à finir par se persuader qu'à un certain seuil de plaisirs, possessions, richesses, le néant s'éloigne, s'efface.
21/9/19
Même si l'on affirme tout de suite que les deux sont complémentaires, qu'ils peuvent très bien coexister, il existe en fait une secrète rivalité non seulement entre une épouse aimante et le meilleur ami de son mari (ou entre un époux aimant et la meilleure amie de sa femme), mais encore entre l'amour et l'amitié.
Chacun de ces sentiments se targue d'être le plus épanouissant, le plus favorable à l'authenticité des rapports, à la joie relationnelle. Et bien des éloges (grecs, romains) de l'amitié n'allaient pas sans une discrète dévaluation de l'amour, tandis que les thuriféraires de l'amour avaient tendance à en faire la seule, la grande affaire de toute une vie.
23/9/19
Sur la base de la phrase célèbre de Térence "Je suis homme et rien de ce qui est humain ne m'est étranger", on peut se dire que devenir humain est l'affaire de toute une vie.
Mais le "Deviens ce que tu es" de Nietzsche est aussi l'affaire de toute une vie, mais conduit dans une autre direction. Gros dilemme si l'on est à la fois anthropologue et artiste !
L'immense majorité n'a pas à faire ce choix, car devenir pleinement humain ou alors pleinement soi-même n'est pas son propos. Juste tenter de jouer sa petite différence dans la normalité du moment lui suffit amplement.
25/9/19
Il y a au moins trois solitudes.
La première est matérielle, factuelle, et l'on pourrait d'ailleurs parler d'"esseulement". Pour des raisons matérielles, géographiques, professionnelles, on se retrouve seul. On ne l'a pas souhaité, et il suffit de changer ces conditions pour ne plus être seul.
La deuxième solitude est plus ou moins voulue. Elle est la résultante de choix existentiels que l'on a faits et qui conduisent à se retrouver seul.
La troisième solitude est la plus profonde, la plus troublante. On peut être dans les meilleures conditions sociales, conviviales, avoir tenté de vivre en amitié, en couple, en famille, en société... mais voilà, quoiqu'on fasse, on s'éprouve monstrueusement différent des autres. On fait de son mieux pour le cacher, mais on n'y peut rien et cette solitude ressemble à un exil auquel on se retrouve condamné.
Seul comme Franz Kafka.
27/9/19
Il y a sans arrêt des vieux qui meurent, des bébés qui naissent, on n'a pas le temps.
Il y a sans arrêt des travaux, des réalisations, des projets, on n'a pas le temps.
Il y a sans arrêt des soucis, des problèmes, des commissions, on n'a pas le temps.
Il y a sans arrêt des envies, des attentes, des souhaits, on n'a pas le temps.
Alors on n'a jamais eu le temps, et ça y est, maintenant l'essentiel de votre vie est derrière vous.
Dommage !
29/9/19
Bombardement de marrons sur le boulevard...
La coque, d'un vert pâle, hérissée, explose en tombant. Elle libère une bille acajou, luisante, qui file sous le tapis de feuilles mortes. Si tu reçois un marron sur la tête, ne le prends pas mal, ne te sens pas persécuté(e), car c'est juste un rappel des arbres, de l'automne, de la mélancolie, pour que tu les honores un court instant.
30/9/19
Le sommeil et la mort.
Le rêve et la vie.
Amusant de jouer avec ces pôles. Voyons, par exemple :
Rêver sa mort, l'imaginer toute autre que ce que nous en dit la science... Ou bien la vie secrète, étouffée, végétale du sommeil... Ou encore vivre ses rêves, ou se contenter de rêver sa vie. Ou considérer la mort comme un sommeil sans rêves, ou la vie comme un rêve sans mort.
Toutes ces incertaines considérations peuvent faire penser aux merveilleuses subtilités du taoïsme, comme par exemple :
"Tchouang Tseu rêva qu'il était papillon, voletant, heureux de son sort, ne sachant pas qu'il était Tchouang Tseu. Il se réveilla soudain et s'aperçut qu'il était Tchouang Tseu. Il ne savait plus s'il était Tchouang Tseu qui venait de rêver qu'il était papillon, ou s'il était un papillon qui rêvait qu'il était Tchouang Tseu..."