Septembre 2022

1/9/22

            Plénitude :

  1. Un objet extérieur nous l’apporte. Conséquences : nous sommes dépendants de ses variations, de sa présence ou de son absence. Ce peut être aussi une activité.
  2. Aucun objet extérieur ne nous l’apporte vraiment. Conséquences : badauds de la vie, en recherche perpétuelle de distractions, comme tant d’autres nous oscillons entre l’ennui et d’éphémères contentements.
  3. Un sentiment intérieur nous la donne. Conséquences : indépendants des choses et des êtres, mais restons dépendants de ce sentiment (foi, enthousiasme, inspiration).
  4. Une meilleure conscience de nous-mêmes nous apprend à repérer ces états essentiels de plénitude et/ou vacuité. Conséquence : nous dépendons moins du bonheur/ennui.

La problématique vacuité/plénitude à l’œuvre dans la boulimie et l’anorexie.

Stratégie du taoïsme/bouddhisme : convertir la vacuité en plénitude.

L’attention, un entraînement classique à la plénitude.

 

2/9/22

            Elle vivait toujours avec les autres, en fonction des autres. Elle organisait son emploi du temps de la semaine pour les rencontrer, et faire différentes choses avec eux. Aux uns elle parlait des autres, aux autres elle parlait des uns. La chronique interminable de leurs petites histoires. Un bavardage intarissable où d’ailleurs elle parlait peu d’elle, n’ayant pas véritablement de vie intérieure… Les autres étaient sa grande distraction, et de chaque journée l’horizon. Elle ne creusait aucune relation en particulier, car à un moment donné ou un autre, elle aurait été obligée de s’interroger sérieusement sur elle-même, ce qu’elle fuyait, mais elle en restait à cette surface mi- distrayante mi- ennuyeuse où l’on ne parle que des actions, des conduites sans s’intéresser à l’intériorité, ce que les béhavioristes appellent la « boîte noire ». Elle passait le temps ainsi, et effectivement ainsi le temps passait vite. Elle s’en affolait… Mais pourquoi donc ? Car à quoi donc aurait-elle dû se consacrer pour ne pas vaguement ressentir que le temps avait filé, qu’il était perdu ?

 

3/9/22

            Ton briquet n’a plus de gaz. Il ne sort qu’une étincelle au frottement de la mollette…  Eh bien voilà ce qu’est une existence humaine, au regard du néant et de son éternité.

 

4/9/22

            Agnus Dei op 11 – pour chœur mixte a cappella de Samuel Barber…

Alors il croyait que le message sublime de Jésus pouvait enfin toucher les oreilles en béton de cette affreuse humanité ! Et puis il pensait à Samuel Barber, un compositeur avec ses manques, ses limites, sa vanité peut-être, un artiste humain, trop humain, et alors il se disait qu’il nous faut assumer en même temps notre grandeur et notre médiocrité, toujours.

 

5/9/22

            Une vague silhouette à peine féminine aux cheveux d’un blond délavé. C’était une femme terne, grise, effacée… Et elle-même se vivait ainsi. On ne la remarquait guère, elle le savait bien mais ne le supportait pas. Mais que faire ? Elle ne brillait ni par l’intelligence, ni par la beauté, et encore moins par une quelconque originalité. Cette peu reluisante condition était pour elle une permanente humiliation qui s’achevait en ressentiment.

Alors, du fond de sa grisaille, une volonté de fer compensatrice est montée, au relief d’autant plus redoutable qu’on ne pouvait dans un être aussi plat le soupçonner. Se donnant continuellement des buts, elle s’activait par tous les moyens pour les réaliser. Elle avait appris à donner le change, à simuler la faiblesse et la bonté. Finalement son emprise sur les autres devenait redoutable. On ne se méfiait pas d’elle, qui montait progressivement dans la hiérarchie, comme toutes ces figures consensuelles, médiocres sur lesquelles tout le monde peut s’entendre. Même ses proches n’imaginaient pas le Mazarin, le Talleyrand dissimulés dans ce physique, derrière ces propos si inintéressants… Tant les apparences nous piègent !

 

6/9/22

            Une certaine dose d’anthropomorphisation est sans doute nécessaire pour nous rapprocher du monde animal… Mais point trop n’en faut, et les données de l’éthologie nous renseignent sur ce qui peut se passer « dans la tête » d’un chat, et qui n’a rien d’humain à proprement parler… Nous sommes tous des vivants, les animaux sont nos parents biologiques, ils s’avèrent capables d’intelligence, de sentiments, et ne méritent pas le sort que nous leur infligeons. Mais il faut garder à l’esprit leur altérité, et concevoir, imaginer tous les rapports que nous pourrions établir avec eux.

 

8/9/22

            L’inconscience nie la mort, mais également la vie.

Inconscient de ce que cela veut dire d’être tout simplement en vie entre deux éternités de néant… La pleine conscience porte aussi bien sur la mort que sur la vie. L’humanité, dans son inconscience, détruit la vie comme si ce n’était pas le bien le plus précieux.

            « Une vie ne vaut rien, mais rien ne vaut une vie » Malraux

 

9/9/22

            L’art ne les concerne pas vraiment :

  1.  Je n’ai pas le temps, avec la condition difficile que j’endure
  2.  Toute ma sensibilité est absorbée par ma vie affective
  3.  Je ne m’intéresse qu’à la vérité
  4.  J’aime m’activer, or la contemplation esthétique est passive
  5.  Je travaille et je me distrais, cela me suffit
  6.  Les problèmes moraux me touchent bien plus.

Parmi toutes ces catégories, certains se retrouvent quand même au théâtre, certaines dans des expositions, d’autres au cinéma… Ici interviennent le snobisme et le suivisme. Alors combien entretiennent un rapport profond et authentique avec l’art ? Pas autant qu’on le croirait au vu de la place, hypocrite sans doute, mais non négligeable, que notre société semble donner aux artistes et à l’art. Sans doute les vestiges du sacré, d’une transcendance qu’on a encore du mal à dépasser.

 

10/9/22

            Le sexisme pourrait consister à enfermer toutes les femmes dans le « féminin », tous les hommes dans le « masculin ». Il y a des femmes « masculines », il y a des hommes « féminins » : difficile de ne pas le constater… Mais bien au-delà, sur le contenu du « féminin » et du « masculin », un flou demeure, car il s’agit de constructions historiques, culturelles, appuyées sans doute aussi sur une symbolique des corps. Mais cette symbolique n’est pas monosémique… Sans doute faut-il revenir à l’expérience, qui s’échange, se partage ou se discute, du vécu de telle ou telle femme, de tel ou tel homme. Ce qui vient parasiter, voire occulter la confidence sincère de cette expérience, c’est l’idéologique, ce sont des questions de pouvoir.

 

11/9/22

            La parole, libre et vivante, menacée continuellement par les discours, en tant qu’énoncés plus ou moins prévisibles, mais facilitant la reconnaissance des pairs et leur regroupement. Les discours ne sont pas forcément idéologiques (« discours réactionnaire »), ils peuvent aussi être des développements psychologiques (« discours de lamentation »), en général inscrits dans une tradition culturelle. Ils constituent la dimension parlée des attitudes, voire des postures…

            Les discours ont tendance à être manipulateurs, actionnant la fonction conative du langage, tandis que la parole s’inscrirait plutôt dans sa fonction expressive. La littérature n’est pas exempte de discours, et pas seulement une littérature pontifiante. Paradoxalement, chez l’écrivain auquel on accorde, par une oralité surjouée, la prééminence d’une parole, Louis-Ferdinand Céline, on décèle le ressassement d’un discours pessimiste réactionnaire… 

 

12/9/22

            L’universalité des valeurs telles que les droits de l’homme, les libertés démocratiques, conquête (18ème siècle, les Lumières) de la modernité occidentale, n’est-elle que relative, pensée spécifique de l’Occident, aussi problématique à exporter que n’importe quel produit d’origine ? Et est-ce que cet universalisme menace la singularité de toute culture particulière ?

            En réalité, la mondialisation des échanges a dilué l’universalité des valeurs, et la « pensée unique » (néolibérale) prévaut sur la pensée universelle. Perdant de sa grandeur utopique, affaibli, l’universalisme humaniste est attaqué sur sa gauche (« wokisme ») et sur sa droite (nationalisme).

            Et les singularités, parfois sous des apparences violentes, archaïques, irrationnelles, rejettent l’universalisme, sans toutefois remettre en question ce qui est en fait bien plus pernicieux : la mondialisation des techniques, des réseaux, du marché, de l’information, des modes de vie.

            L’émancipation, l’autonomie, la libre pensée, l’esprit critique, s’ils émanent de l’Occident, ne sont-ils pas des valeurs universelles, tout comme l’esprit scientifique ?

 

13/9/22

            Dans la « société d’abondance » danger que valeurs et catégories disparaissent par pléthore, prolifération, contamination. Il y a trop : on ne voit plus. Tout se mêle : on ne distingue plus… Effet d’indifférenciation, avec second effet d’indifférence. Risque d’ennui sidéral.

            Les gens ont redécouvert la moutarde (mémoire de sa couleur, saveur, etc.) quand il y a eu pénurie de moutardes. Alors qu’auparavant, il y avait une quinzaine de moutardes différentes sur les gondoles. On ne les voyait même plus.

 

14/9/22

            L’art pour résister au lessivage du cerveau sous le torrent d’informations.

            Mallarmé opérait déjà une distinction entre « littérature » et « universel reportage ». Savoir s’arrêter. Stopper le flux mental et percevoir, être attentif.

             L’heure de la sensation vraie, livre de Peter Handke. Rendre le familier étrange (Kafka). Peut-être alors se le représente-t-on mieux dans le langage de l’imaginaire.

15/9/22

            Cicéron cite une phrase de Scipion l’Africain : « Je ne suis jamais moins seul que dans la solitude ». Pour s’approcher de cette affirmation paradoxale, il convient de repérer les situations où l’on se sent seul avec autrui, et celles où, seul pourtant, l’on se sent en compagnie.

            Pour les premières, on pense à tous ces moments où, de multiples manières, la communication ne passe pas. Par exemple, les autres (ou l’autre) ne sont guère dans la même humeur, les mêmes dispositions d’esprit que soi. Ou bien ils s’étalent sur un sujet pour lequel on n’a rien à dire, ou encore une incompréhension s’impose de part et d’autre, ou enfin, dans un groupe, on ne participe en rien à un accord, une contagion affective… Alors, tout en n’étant pas seul, apparemment, on se sent cruellement seul en compagnie.

            Pour les secondes, on songe évidemment à autrui intériorisé. Déjà, certains psychanalystes affirment que l’on se sent d’autant mieux seul que l’on a pu intérioriser la (bonne) figure maternelle. Elle nous choie, nous parle bas et nous protège. Cette figure maternelle peut être remplacée, pour les vrais croyants, par une aimante figure divine… Mais il y a aussi celles et ceux auxquels, au fond de sa solitude, on pense agréablement. Enfin l’on peut entretenir un rapport avec des auteurs, des artistes, des philosophes, esquisser des dialogues imaginaires avec eux. Alors, dans tous ces cas, il est vrai qu’on n’est jamais moins seul que dans la solitude.

 

16/9/22

            Les choses, et le bruit qu’elles font… Les médias à la fois enregistrent ou, la plupart du temps, créent le bruit des choses. Mais les choses silencieuses peuvent agir en profondeur, et les choses tapageuses ne font souvent qu’animer l’agora de la vie sociale.

 

17/9/22

             Le thème, souvent illustré, de la « guerre des sexes » recoupe en bonne partie celui de l’homosexualité latente en tout individu. Une part, secrète ou exhibée, chez les hommes aspire à rester entre hommes et à repousser les femmes. Et la part la plus androphobe des femmes coïncide souvent avec leurs propres tendances homosexuelles.

 

18/9/22

            On quitte en général la vie soit vieux – et l’inconfort, les humiliations, la pénibilité de la vieillesse nous font mieux accepter la mort -, soit très malade – et les douleurs, les restrictions, l’amoindrissement qu’inflige la maladie peuvent inciter à en finir -, et l’on peut dès lors comprendre le sentiment d’horreur qui étreint ceux qui, jeunes et en parfaite santé, sont appelés cependant à mourir. Or n’est-ce pas le sort tragique des milliers de soldats, mobilisés sur le front ?

 

19/9/22

            Quand on exhibe une notion fétichisée, c’est-à-dire survalorisée, isolée de ce qui l’entoure et lui donne sens, le risque de manipulation est grand.

            Par exemple la supposée valeur « travail »… Qui la promeut ? Et de quel travail s’agit-il ? À qui s’adresse-t-on pour la brandir ainsi ? Quels effets peut-on attendre de cette valorisation ? Dans quelles circonstances le débat surgit-il ? Etc.

 

20/9/22

            Son ironique boutade, pour dire la folie du système : « Le monde capitaliste préfèrera encore une société sans art, et même sans air à une société sans or ! ».

 

21/9/22

            Pourquoi la vie est-elle apparue sur terre ? Quel est le sens de notre présence dans l’univers infini ?  Et comment se fait-il seulement que nous puissions penser le monde ?... Ces questions abyssales n’effleurent jamais certains. « Plus un homme est bête et moins l’existence lui semble mystérieuse », écrit Schopenhauer.

 

22/9/22

            Sauver la notion, sans doute mystique, religieuse, spirituelle, et certainement synthétique d’« âme », juste pour contrarier la modélisation en cours de notre psychisme par les neurosciences et pour la robotique, l’intelligence artificielle, etc. 

23/9/22

            La fatigue. L’immense fatigue, accumulation de chocs, d’épreuves, de frustrations et découragements… Cette immense fatigue, n’aspirant d’abord qu’au sommeil, peut devenir notre alliée efficiente pour supporter, et peut-être même confusément souhaiter, ce qui, aux temps de notre puissance d’être, nous semble un absolu scandale : la mort.

 

24/9/22

            Quelques personnes sensibles ou émotives pensent : « je suis aisément envahie par ce que je ressens, et donc je suis potentiellement apte à devenir bon artiste ». Mais non, ce n’est pas si simple. L’expérience nous montre que débordés par nos émotions, nos sentiments, nos passions, nous ne faisons rien d’autre que les éprouver. D’un autre côté, une bonne partie de l’art ne peut se concevoir sans les affects, ne se contente pas de l’intellect. Alors ?...

            Si j’arrive à simuler une émotion, jouer un sentiment, je peux tout à la fois en saisir les mécanismes et me prendre au jeu. C’est déjà le travail du comédien (cf. Le Paradoxe du comédien de Diderot) qui, bien entendu, ne peut chaque soir attendre une colère ou une tristesse, mais doit les simuler au mieux pour impressionner les spectateurs. C’est aussi la démarche de tout artiste que de s’imaginer dans tel ou tel état pour en tirer l’expression la plus forte, juste. Dans une lettre datée de 1852, Flaubert écrit ainsi : « Moins on sent une chose, plus on est apte à l’exprimer comme elle est (…). Mais il faut avoir la faculté de se la faire sentir. Cette faculté n’est autre que le génie ».

 

25/9/22

  • L’artiste est immoral, ou plutôt amoral. Ses valeurs ne sont qu’esthétiques…
  • Amoral ou immoral par rapport à la morale commune, nécessaire à la vie en société et sur laquelle s’appuie le droit, oui, si vous voulez. Mais ne vous y trompez pas : il possède sa propre morale qui peut être terriblement exigeante !
  • Ah bon, laquelle ?
  • Celle qui, au cœur de son travail, le taraude quand il triche, se laisse aller à des trucs, des ficelles, des facilités. Celle qui exige de lui toujours plus de perfection, et de ne même pas se satisfaire d’un succès public selon elle immérité. Celle qui ne se contente jamais de ce qu’il a trouvé…

 

26/9/22

            Il affirmait que les grands livres fondateurs de croyance religieuse, la Bible, le Coran, la Bhagavad-Gita, etc. ne tiennent leur efficacité que de manières propres à l’art. Il ajoutait même que le divin n’est produit que par une maîtrise de certains thèmes et de quelques formes et figures qui nous ravissent jusqu’à inhiber notre sens critique. Et voilà pourquoi les religions se sont méfiées de l’art, et n’ont supporté les artistes qu’à la condition qu’ils fûssent à leur service !

 

27/9/22

            Comment éviter la consommation culturelle qui fait des ravages dans certains milieux ?

            En opposant l’art au divertissement. Il y a mille façons de se divertir (les jeux, les mondanités, la connaissance encyclopédique, etc.), le rapport à l’art mérite mieux que le divertissement. Le divertissement est oubli, l’art est rappel. Le divertissement favorise une agréable inconscience, alors que l’art peut réveiller des zones assoupies en nous.

            Pour éviter la consommation culturelle, il faut laisser l’art authentique fouiller en nous, surtout lui laisser le temps d’opérer son travail silencieux de consciencisation.

 

28/9/22

            Réduire une œuvre d’art à son « message » (et du coup la juger là-dessus, moralement, politiquement, etc., comme on le fait de plus en plus) reviendrait par exemple à ne lire que les dernières lignes d’une fable : la morale de la fable. Oui, pourquoi lire tout le reste ?

29/9/22

            Lors d’une interview dans la revue « Revista », Marcel Duchamp jeta cette boutade : « Le grand ennemi de l’art, c’est le bon goût ». Il faut situer cette phrase dans le contexte historique d’une bourgeoisie frileuse, conservatrice de l’époque.

            Aujourd’hui l’art contemporain est grassement acheté par une bourgeoisie de nouveaux milliardaires incultes, vulgaires, béotiens, qui s’extasient devant les productions kitsch et/ou démesurées à l’image de leur mégalomanie. Si bien que la formule de Marcel Duchamp peut être ainsi complérée : « Les grands ennemis de l’art, c’est le bon goût et le mauvais goût ».

30/9/22

            Dans l’ère dominée par le commerce et la consommation, l’idée, le projet de mettre l’art au service de la publicité, en tous cas de le récupérer le plus souvent possible pour mieux vendre, reste au fond tout à fait admise, recevable.

            L’art jadis au service de la religion, des puissants, de l’idéologie, de la publicité… Son autonomie est menacée constamment, et d’autant plus qu’un certain nombre de « faiseurs » (sont-ils en fait des artistes ?) s’en accommodent très bien.

           

           

             

           

           

             

           

 

 

           

           

             

           

 

 

 

 

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