Se déprendre des images, ou les analyser. Être conscient de leur toute-puissance en tous cas.
Le critique français de cinéma, André Bazin, rappelait les origines magiques de l'image. Il parlait d'un "complexe de la momie" : l'image comme forme d'embaumement du vivant pour en assurer la survie post-mortem, une forme d'éternité.
Parmi les origines de la peinture, de la sculpture, puis de la photographie et du cinéma, ne nous faut-il pas citer ce désir d'éternité ? Si, pour les Égyptiens jadis, la survie était associée à la pérennité matérielle du corps, d'où momification soignée et pyramides protectrices, d'autres civilisations se contentent de ce substitut magique qu'est l'image, qui exorcise le temps. Les "portraits de Fayoum", remontant au premier siècle après J.-C., sont des portraits funéraires peints, insérés dans les bandelettes au niveau du visage momifié : ils prolongent la tradition funéraire de l'Égypte ancienne... Plus tard Charles-Quint se contentera de son portrait dû au pinceau de Titien.
Toujours aujourd'hui, le monde de l'image crée une forme d'idéalité douée d'un destin autonome. L'homme vieillit, meurt : son image, bien conservée, lui assure une éternelle jeunesse.
Aussi convient-il d'ajouter à l'aspiration esthétique et philosophique propre à la peinture, où les symbolismes jouent un grand rôle, une autre aspiration, d'ordre psychologique et magique (contre l'anéantissement), exigeant le réalisme, la fidélité de la représentation.
L'invention de la photographie, libérant la peinture de l'obsession de la conformité au réel, est un moment fondamental dans l'histoire de l'image : pour la première fois, une image extérieure du monde extérieure se forme automatiquement, sous la forme d'une émnation lumineuse suivie d'une impression chimique, sans que l'homme intervienne. La photographie proclame d'entrée de jeu on essentielle objectivité.
Donc pas d’intermédiaire humain a priori, dans la photographie, ressemblance absolue avec le modèle, et puissance émotionnelle de cette « présence absente », fantomatique. Ainsi, progressivement, un monde de « leurres objectifs » a envahi la quotidienneté.
Etre conscient de cette omniprésence de l’image, avec ses différentes fonctions magiques : exorciser le passage du temps, capturer l’insaisissable, découvrir des lieux qu’on ne visitera jamais, vivre un érotisme virtuel, et enfin, si l’on y croit, agir à distance sur les autres. Photos, cinéma, télévision, jeux vidéo font préférer à certains, et jusqu’à l’addiction, le monde des images au monde réel.
Dès que le monde des images est entré dans le circuit de l’économie capitaliste, la standardisation des rêves, aussi bien par l’usine aux images qu’était Hollywood que par la publicité, a été l’un des plus puissants facteurs d’intégration sociale qui soit.
Nous évoluons, hallucinés, dans une « iconosphère », peut-être dans la même déréalisation que la « première humanité » dont parle Vico.
Il y aurait deux façons, très différentes, opposées même, de se déprendre de la magie ensorcelante des images : le retour aux signes (la lecture) ou bien le retour au réel (l’observation).