L'art comme langage ?

 

 

L’ART COMME LANGAGE(S) ?

 

Introduction : peut-on appréhender l’œuvre d’art comme langage, comme faisant nécessairement sens ? Et si l’art est un langage, quel type de langage est-il ?

Essayons d’abord d’énumérer les différents sens que l’œuvre est susceptible d’offrir, bien qu’ils soient rarement reconnus tous ensemble, et bien que certain soient anesthétiques.

 

I) L’art comme sens (significations) au pluriel

Il y a des significations que l’art véhicule.

 

A) Les sens extrinsèques :

Ce sont significations qui lui viennentt du dehors, qui s’ajoutent à sa nature esthétique.

 

sens pratique : l’œuvre peut avoir une fonction, utilitaire ou rituelle. Le palais se comprend comme demeure royale, le temple comme édifice religieux, certaines statues comme « corps de rechange » pour l’âme du défunt, etc. Beaucoup d’«objets d’art » extraeuropéens sont en fait des objets de culte, des objets magiques (ex : les masques africains).

sens culturel ou d’information : l’œuvre est parfois dépositaire d’une tradition ou d’un savoir. Elle a pour fonction de les transmettre. Commémorative, polémique, moralisatrice. Ex : la colonne Trajane, la Chanson de Roland, la cathédrale médiévale comme « bible en images ».

Si l’œuvre est complètement dépassée par sa fonction, comme tout langage est dépassé par son utilité (on utilise le langage et l’on y fait rarement attention en tant que tel, sauf les poètes, écrivains, etc.), alors est-elle encore perçue comme œuvre d’art ? La signification de l’œuvre lui est conférée du dehors, par l’usage ou le service qu’on attend d’elle… Mais si l’on oublie, met entre parenthèses sa fonction, son sens pratique, cuturel ou cultuel, on peut faire attention à sa forme (masques africains), à sa dimension décorative, et alors l’œuvre acquiert une valeur esthétique.

 

 

 

 

B) Les sens intrinsèques :

C’est une signification qui vient du dedans : le contenu, le thème, etc.

 

sens explicite : il est fourni par ce qu’on appelle le « sujet » dans les arts représentatifs. On y apprend une vérité, on y enseigne une morale : De Natura rerum de Lucrèce, comme son nom l’indique, veut nous initier à la science matérialiste (en fait à la doctrine d’Épicure) ; Les Fables  de La Fontaine nous offrent un certain nombre de préceptes moraux (valeur du travail, de la prudence, etc.). Mais, si ces deux ouvrages sont reconnus comme œuvres artistiques, ce n’est pas à cause de leurs vérités, mais à cause de leur style.

sens implicite : c’est ce à quoi veut accéder toute interprétation de l’œuvre. Interprétation psychanalytique, sociologique, anthropologique/mythologique… Peut-être qu’un objet artistique nous séduit aussi par ce sens implicite que l’on pressent, mais que l’on n’arrive pas encore à dévoiler : « Dire qu’un objet est beau, c’est lui donner valeur d’énigme », remarque Valéry. Et puis il y a, pour les esthétiques idéalistes, ce sens qui serait situé au-delà de la présence matérielle de l’œuvre. Focillon parlait de l’aura des grandes œuvres, Souriau d’une dimension hétérocosmique. C’est-à-dire ouvrant à un autre univers…

 

 

II) Les arts du langage

Ce sont tous les arts qui prennent le langage articulé comme matériaux de leurs œuvres. C’est donc l’ensemble des arts littéraires, soit oraux soit écrits. Ces arts ont tous, dans la mesure même où ils utilisent le langage, des caractères se rapportant à trois aspects du langage.

 

La phonation : la poésie, le théâtre, la chanson peuvent jouer sur la sonorité des mots, soit pour l’oreille, soit pour les impressions ressenties en les prononçant. Par exemple allitérations dans le théâtre : Pour qui sont ces serpents qui sifflent sur vos têtes ? (Racine). Dans la poésie : Aboli bibelot d’inanité sonore (Mallarmé), dans la chanson : Bobby Lapointe et Ta cathy t’a quitté, tictac

La relation signifiant/signifié, avec une dénotation et des connotations, un sens explicite et un sens implicite, un premier degré et un second degré, etc.

La fonction de communication : celle par laquelle le langage sert à ceux qui parlent la même langue pour se comprendre et agir les uns sur les autres. Tout l’aspect social du langage est utilisable pour des effets esthétiques éventuels (usage de l’argot, de différents parlers dans la littérature) ; et l’usage esthétique du langage a symétriquement un impact social certain, car savoir manier le langage est une puissance (rhéteurs, avocats, éloquence théâtrale).

Détour par les six fonctions du langage selon Jakobson. Expressive (informe sur l’état de l’émetteur), conative (vise un récepteur, agit sur lui), référentielle (indique des faits, désigne des choses), phatique (sert à s’assurer que la communication fonctionne), poétique (met en évidence du langage comme signifiant), métalinguistique (se signifie lui-même, sert à indiquer son propre mode d’emploi). Dans l’art, on va retrouver toutes ces fonctions (sauf la fonction phatique sans doute que l’on va éventuellement mimer). Ce qui tendrait à entériner l’idée que l’art serait un langage. Mais quel type de langage ?

 

 

III) Un langage à part

Les limites d’une sémiologie de l’art.

 

Il faudrait déjà faire une différence entre signifier, évoquer et suggérer. Et rappeler la notion de sous-texte (ce qui est dit n’est pas ce qu’il faut comprendre). En fait, pris dans toute sa complexité, le langage tendrait plus vers l'art que l'art vers le langage !

 

Il n’y a de langage à proprement parler que s’il y a signification codée, avec une syntaxe, une grammaire, une sémantique officiellement et/ou majoritairement fixées. Les mots veulent dire régulièrement la même chose, et tout le monde comprend de la même façon un message clair. Mais en peinture, que voudrait dire dans un tableau telle couleur à tel endroit ? En musique, telle ritournelle ? La musique veut-elle dire quelque chose d'ailleurs ? En poésie, tel mot ne vaut-il pas plus pour la rime que pour son sens ? Au cinéma, un travelling a-t-il toujours la même signification ? Etc.

Dans l’art, d’abord il y a un usage singulier que chaque artiste fait des formes, ensuite il y a une multiplicité d’interprétations (polysémie) possibles, enfin l’art ne se résoud jamais en un message (même s’il en existe un parfois, par exemple la morale d’une fable). Effet comique même de vouloir réduire l’art à un message : - Finalement que veut dire Proust dans À la recherche du temps perdu ? - Qu’il est bon de se souvenir de son passé !

 

L’art peut, certes, parfois utiliser des codes précis (danse rituelle, "kathakali"), des symboles fixés (que l'iconologie répertorie), mais il y a potentiellement une dimension de virtuosité technique, d’invention formelle qui les transcendent. Si cette dimension n’est pas actualisée, on perd la notion d’originalité, laquelle est un écart par rapport à un ensemble.

 

 

Conclusion

Alors, si l’art est un langage, c’est un curieux langage, appelant toutes les réserves : sans dictionnaire véritable ni grammaire, utilisé par des créateurs qui ne sachant pas vraiment ce qu’elles veulent dire, s’adressent à des inconnus qui comprennent, en plus différemment, ce qu’elles peuvent bien comprendre… Et d'ailleurs, comme le rappelait André Malraux, "l'artiste crée moins pour s'exprimer qu'il ne s'exprime pour créer".

 

 

 

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