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L'art contemporain, ruptures et prolongements

Art contemporain, ruptures et prolongements.

 

Que signifie l’expression « art contemporain » ?

La première chose que l’on remarque, c’est qu’aucune spécification formelle, stylistique (comme pour l’art baroque, maniériste, romantique, etc.) n’est indiquée, mais juste une indication temporelle, d’ailleurs assez vague (on pourrait préciser « l’art des années 90 », comme on parle de « l’art des années 30»).

Cependant, l’on ne dit pas non plus « art actuel »... Ce qui suggère une caractérisation autre que temporelle, marquant une rupture fondatrice, que l’on peut tenter historiquement de préciser. On verra également que cette rupture n’est pas absolue.

 

 

L’accessibilité de l’art à la contemplation publique, par le développement des institutions muséales au 19ème siècle - alors qu’auparavant, par salons ou cabinets de curiosités, l’art concernait surtout l’aristocratie et la grande bourgeoisie – en ouvrant les publics, libère l’artiste des contraintes, exigences et limites d’une classe, d’un groupe fermé. L’artiste, en droit, peut s’adresser à tout un chacun. L’esthétique de Kant prépare d’ailleurs cette démocratisation : chacun peut vivre, par sa rencontre avec une œuvre d’art, l’expérience universelle du beau.

Ce qui caractérise ensuite les avant-gardes, dès la fin du 19ème siècle, c’est une série d’ouvertures s’accompagnant bien sûr de rejets d’interdits, de règles pesant sur l’art traditionnel. Ouverture à des thèmes nouveaux (scènes prosaïques, quotidiennes), des pratiques nouvelles (la peinture de plein air), des matériaux inhabituels, des recherches novatrices sur la couleur, les formes. En même temps, l’immense réservoir de l’art dans lequel les artistes pouvaient désormais puiser (des différents exemples du passé aux arts extra-européens, des temps anciens aux aires culturelles lointaines) inspirait, étayait ces recherches. Toutes ces ouvertures fécondes peuvent être aussi, et à juste titre, considérées comme une série de mises en cause… Mises en cause des matériaux utilisés, des canons esthétiques, de la hiérarchie des sujets, des leçons académiques, etc., jusqu’à cette rupture radicale, sans doute fondatrice de ce que l’on appellera l’art contemporain : la remise en cause de l’élaboration plastique de l’œuvre par l’artiste lui-même. Et c’est le révolutionnaire et fondateur « ready made » de Marcel Duchamp… En exposant un urinoir au salon de la Société des Artistes Indépendants de New York, Duchamp ouvre la voie à de multiples possibilités constituant le « paradigme » (cf. Nathalie Heinich) de l’art contemporain :

1°) L’artiste n’a plus besoin d’être le créateur, le fabricant de son œuvre. Ce qui se passe avec Jeff Koons, Christo, etc.

2°) Ce qui prévaut est la conception intellectuelle, l’idée originale de l’artiste. Ce n’est plus « il fallait le réaliser », mais « il fallait y penser ».

3°) L’originalité, la nouveauté priment sur le beau et d’autres catégories esthétiques.

4°) Une dimension subversive, voire de scandale (un urinoir…) font partie du jeu.

5°) Une distance humoristique et/ou ludique entrent dans ces propositions.

 

On peut bien sûr affirmer que l’art contemporain prolonge, exacerbe les multiples ouvertures/ruptures des avant-gardes. Sauf que ces dernières étaient peu ou prou associées à un idéal d’émancipation sociale (cf. dadaïsme, surréalisme, constructivisme, futurisme, etc.). On peut également dire que l’art contemporain, en dépit de sa rupture, garde quelques valeurs essentielles de l’art qui l’a précédé : liberté de l’artiste, gratuité de son geste, écart par rapport aux normes esthétiques majoritaires et au supposé « bon goût ». Sauf que s’étant autonomisé par rapport aux attentes esthétiques et/ou hédonistes, aux fonctions narratives, aux idéaux d’émancipation, l’art contemporain a déçu un certain nombre d’attentes du public.

Mais il se trouve aussi que, valorisant le nouveau pour lui-même, en phase avec les nouvelles technologies, enclin au kitsch par iconoclastie, jouant avec les modes et l’obsolescence, l’art contemporain est aussi un reflet du monde capitaliste dans lequel il a surgi. La grande bourgeoisie, l’oligarchie lui ont donné leur pleine adhésion, ont parié sur lui. Certaines productions contemporaines atteignent ainsi des prix astronomiques, dépassant parfois ceux des chefs-d’œuvre anciens.

L’art contemporain retrouve par là l’« élitisme », mais d’un autre ordre que celui de l’art ancien (difficile souvent à déchiffrer par ses niveaux de sens, sa symbolique : cf. l’iconologie), car il s’agit d’un élitisme par le prix (qui peut s’acheter un Damien Hirst ?) et d’un élitisme par l’herméticité/gratuité (qui est à l’aise avec son requin tigre segmenté ?).

 

Les valeurs de l’art ancien, moderne se trouvent-elles irrévocablement révolues, anéanties par l’art contemporain ?

Déjà, l’art post-moderne, qui se plaît à la citation décontextualisée, montre que certaines valeurs anciennes peuvent resurgir dans de nouvelles combinaisons. Et puis l’Histoire est toujours ouverte, d’autres pressions socio-économiques, des changements de sensibilité, le passage à une autre civilisation peuvent rendre ce « maître de l’obsolescence », qu’est l’art contemporain, lui-même caduc !

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