Jeunisme, "turn over" et obsolescence dans le marché de l'art contemporain.
Le "jeunisme" de l'art contemporain, marqué par les choix des galeristes et des foires, va de pair avec l'obsolescence accélérée des créations. Il y a en effet une forte spéculation sur la nouveauté. Ce qui signifie concrètement que, pour un artiste, s'il n'a pas "fait ses preuves", "percé" (il faudra s'interroger sur la pertinence de ces termes) à 35 ans, il est oublié... La notion d'"émergence" ("artistes émergents") se retrouve, significativement, dans la qualification de nations à forte croissance économique : l'artiste émergent serait celui sur qui l'on peut investir avec un bon retour sur investissement.
Notons tout de suite qu'avec ce label d'"émergent", un Cézanne, qui cherche, tâtonne, produit peu, aurait été invisible aujourd'hui. Les révolutions esthétiques profondes s'inscrivent dans une temporalité relativement longue dont, on le comprendra vite, le marché de l'art n'a rien à faire. Il a besoin de s'alimenter constamment en nouveautés. Stariser plus ou moins artificiellement quelques jeunes artistes insolents, montés en épingle par des galeristes/collectionneurs en pointe, faire monter, vite et beaucoup, leur cote, ouvrir un segment de marché où des milliardaires pourront acheter et revendre avec grands profits les oeuvres de ces poulains sauvages : voilà le régime dominant de l'art contemporain. Exemple : Charles Saatchi, puissant collectionneur, publicitaire (!) et galeriste anglais, son repérage et sa promotion de quelques "young british artists", et les cotes vertigineuses d'un Damien Hirst... Mais il faudra vite en déceler d'autres pour maintenir l'expansion du marché. Les foires comme la FIAC, la YIA, etc. aident bien sûr à cette promotion. Faut-il préciser que, pour la grande majorité des artistes, c'est un miroir aux alouettes qui se transforme en jeu de massacre ? Entre tous ceux qui n'ont pas convaincu les galeristes pour être présentés dans ces foires, ceux qui n'y sont allés qu'une fois puis furent rejetés (désolé, ça n'a pas marché), ceux qui ne sont jamais entrés dans la catégorie (hystérique ? euphorique ?) des artistes "émergents", ceux qui furent un temps "émergents" et qui ne le seront jamais plus, combien restent invisibles avec, sans doute, des propositions très pertinentes et qui méritaient d'être suivies ?
Bien sûr, il peut y avoir des "redécouvertes" pour ceux qui eurent un temps leur grande heure de gloire, mais il faut des galeristes qui prennent, dans ce marché de l'art cynique et dominé par l'obsolescence accélérée, le risque de la fidélité, de l'amour et de la foi. Or, la situation éonomique des galeristes est plus que difficile : ils doivent se replier sur des valeurs sûres de l'art moderne, ou alors un "second marché" qui permet quelques jeux de passe-passe. Mais, dans l'axiomatique de ce marché de l'art de spéculation à court terme, les gros perdants (artistes, galeristes) sont les plus nombreux, les supergagnants raflent presque toute la mise. Et surtout, la découverte de génies de l'art est devenue hautement problématique.
Mais enfin, pourquoi ce "turn over" infernal travaillerait-il pour l'histoire de l'art à venir ? Que lui importe le Cézanne du 21ème siècle ? Beaucoup d'éphémères rapportent plus que quelques valeurs durables !