La fiction contre l'affliction ?

Le monde réel n'a rien à faire de nos espérances et croyances, le monde de la fiction oui.

 

 

Mieux vaut reconnaître sans doute l’importance de la fiction dans notre vie plutôt qu’en être la dupe, car nous vivons sans cesse sur deux plans : celui du réel et celui de la fiction.

Des mythes aux grands récits en passant par les croyances, les fictions révèlent la toute-puissance de la fonction fabulatrice chez l’être humain, et notre rapport en creux avec le monde réel et celui de nos désirs.

 

 

Dans le roman, le cinéma, la série télé, les pièces de théâtre, les bandes dessinées, etc., il y a un déterminisme (plus ou moins conscient) du contexte social et des thèmes qu’il véhicule. Un déterminisme également des préoccupations favorites de l’auteur, liées à ses aspirations plus ou moins conscientes. Mais il y a surtout une invention, une mise en œuvre, une mise en forme et des procédés par lesquels le créateur « impose son monde fictif » (W. C. Booth – The Rhetoric of fiction). La fiction est un processus d’imagination, bien entendu, mais qui ne cherche pas a priori une investigation du réel, comme par exemple c’est le cas dans la « futurologie », l’élaboration de scénarios possibles concernant l’avenir.

La fiction occupe une position particulière par rapport à l’être. Ce n’est évidemment pas un non-être. Distinction par exemple entre le silence (non-être) et un canular (être-autre). Gavroche, être de fiction, n’a jamais existé dans le monde réel. L’imagination de Victor Hugo l’a créé, imposé, et celle des lecteurs a prolongé, enrichi cette existence. Sa présence en eux est accrue par leur propre imagination. D’emblée, le personnage fictif est donné dans l’oeuvre comme un être humain vivant. Au point que si les lecteurs ont cristallisé en lui, sur lui, de puissants désirs, sa disparition annoncée peut être ressentie comme insupportable (exemple : les manifestations contre Conan Doyle quand il a voulu faire « mourir » Sherlock Holmes). La fiction occupe une place non négligeable dans notre monde de représentations.

Dans notre monde de représentations, la fiction occupe non seulement une place non négligeable (même chez les esprits scientifiques !), mais encore elle peut déterminer nos choix existentiels, comme en témoigne avec lucidité Sartre dans Les Mots.

Si l’adulte n’adhère plus aux contes de fées, ne croit plus au Père Noël, il suffit que la fiction situe ses personnages dans un univers « identique » (là de subtils glissements peuvent être introduits par l’auteur) au sien, dans un espace/temps pareil au sien, pour que l’adhésion au récit de fiction se réalise. Et même si la fiction se déroule dans le futur (science-fiction), ou dans le passé (roman historique), la crédibilité du décors, des situations, due à une documentation préalable, contribue largement à l’adhésion du lecteur. Tout ce qui précède s’applique également au cinéma, à la bande dessinée, etc.

On sait que la fiction peut donner une très forte impression de réalité. Cela peut même être le guide d’une esthétique réaliste de la fiction, pour laquelle sa fin première serait en fait de produire l’illusion complète de la réalité. 

Si le réel peut parfois produire une impression d’irréalité, de fiction, à son tour la fiction peut faire naître une impression de réalité intense.

C’est que le « réalisme » de l’imaginaire ne tient pas seulement à sa conformité de contenu avec maints aspects de la réalité, comme cela a été vu plus haut. Dans son laboratoire de production, le temps de l’imaginaire permet une précision, une grande netteté, une cohésion, une rationalité, une construction que la réalité telle quelle, dans son flou, sa complexité et/ou sa confusion ne génère pas le plus souvent.

Enfin, dans cette impression forte de réalité que donnent maintes fictions, quelque chose de l’espérance ou de la crainte secrètes s’est glissé. N’en étant pas conscients, nous en sommes plus enclins encore à adhérer à la fiction.

 

Faut-il ne plus se/nous raconter d’histoires ?

La question demeurerait plutôt : à quel endroit (fiction amoureuse, politique, religieuse, etc.) situons-nous notre besoin de fiction ?

Que dit notre besoin de fiction sur ce que nous ressentons du réel ?

Le réel est frustrant, confus, mortel, ineffable, morne, compliqué, et la fiction vient réparer le mieux possible (= avec une impression de réalité) tout ce en quoi il nous rend la vie difficile à supporter.

 

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