Notes sur une esthétique du dégoût

L'oeuvre de Céline est marquée par le sentiment du dégoût. Dégoût de l'humain, de la vie en général. Cette répugnance semble marquée par la hantise de la mort, de la décomposition qui ne sont jamais loin. Nombreuses citations à cet égard dans son oeuvre... Les aliments de la vie ne nourrissent pas, car ils sont déjà du déchet, de la merde. Sans doute l'artiste en "sait" alors trop, ayant passé le vivant sous le catabolisme de son analyse (Céline était médecin). Un innocent, un candide ne pourrait pas éprouver tel dégoût...

Cependant, le catabolisme consistant à dégrader les molécules complexes en molécules plus simples, on peut se demander si l'esthétique du dégoût n'a pas besoin également de simplifier à sa façon l'éblouissante complexité de la vie, de l'humain, en éléments simples qui ressassent le triomphe de la décomposition et de la mort, pour se déployer. Bien sûr les banquets les plus riches, sophistiqués, finissent tous en merde uniforme, mais ils furent complexes avant que d'être simples.

À peu près vers la même époque que Céline, nous trouvons les thèmes sartriens de la Nausée. Dégoût de l'organique, de l'être-là, statique, visqueux, avant tout de même que la création artistique (un musicien de jazz), le projet politique, etc. ne permettent d'échapper à ce dégoût de vivre. L'esthétique du dégoût est sans doute à rattacher à une période historique (préciser le contexte), mais on retrouve le thème du "taedium vitae" dès l'Antiquité. Il faudrait aussi se demander :

1) si l'esthétique du dégoût n'a pas une base de sensation interne (le "cerveau" de l'intestin)

2) si elle ne procède pas d'une condamnation de l'humain en tant que vivant, être biologique au nom d'une spiritualité latente (Huysmans finit dans la religion après avoir tant exprimé son dégoût).

3) si l'esthétique du dégoût ne mène pas, sauf à se trahir, à une impasse : l'art doit après tout séduire, d'une manière ou d'une autre, ne pas susciter la répulsion. Or la prose de Céline est inventive, ses trouvailles stylistiques nombreuses. Son dégoût a beaucoup de goût !

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