Nous en savons toujours trop en matière d'esthétique. Les références montent tout de suite à l'esprit, la mémoire déborde, servante docile et qui croit toujours bien faire...
Cependant voilà, ce serait merveilleux de ressentir le monde comme si nous n'avions pas encore les mots pour le dire, comme si nous n'étions que des in-fans, c'est-à-dire ceux qui ne parlent pas encore. Ou alors comme si nous allions bientôt mourir... Les premières sensations avant l'habitude, cette première mort, ou les dernières sensations avant de disparaître à jamais. Alors le monde est extraordinaire ou ineffable ou miraculeux.
Nous pourrions nous contenter de ces expériences esthétiques ("esthétique" de aisthanesthai = sentir) dans l'immensité de la solitude, sans avoir à les commenter, encore plus seuls de ne les avoir même pas vêtues de mots pour en parler à l'autre qui est en soi, avant bien sûr de vivement les raconter aux autres réels.
Et à ce propos, pour l'intensité des sensations éprouvées, vaut-il mieux voyager seul, comme le soutient Gustav von Aschenbach dans La Mort à Venise de Thomas Mann, ou bien accompagné et dire, partager ? Nul doute que si Aschenbach avait pu nouer une relation avec le jeune Tadzio, il aurait trahi ses premières convictions ! Mais il est mort sur la plage de Venise, contemplant une dernière fois l'objet éblouissant de sa fascination...
Nous allons pourtant céder au langage tout en essayant de creuser des trous de silence dans sa compacité.